HAYAO MIYAZAKI – « KIKI LA PETITE SORCIERE »

L’histoire magique de la jeune fille est l’une des plus belles réussites cinématographiques du réalisateur japonais. La publication en trois versions papier des aventures de Kiki est l’événement majeur de l’édition jeunesse en cette fin d’année. Une « période Miyazaki » faste qui se prolongera au début 2026, avec une nouvelle tournée du Yellow Stocks Orchestra jouant la musique de Joe Hisaichi, le compositeur attitré des bandes sonores des films « miyazakiens » – de Mon Voisin Totoro à Kiki La Petite Sorcière. Un monde magique, ludique et réflexif, pour éveiller la conscience des enfants et (surtout) des adultes…  

PAR CLAUDE DELEUZE

Kiki La Petite Sorcière (rappelons-le) le film de Hayao Miyazaki et les trois livres qui s’en inspirent, sont tirés du premier volume d’une série de romains (du même titre) de l’écrivaine japonaise Eiko Kadono, née il y a 90 ans à Tokyo. Le titre original du film est Majo No Takkyubin (littéralement Service De Livraison Rapide De La Sorcière). L’histoire, écrite dans un environnement spirituel et artistique – et un contexte social et politique – bien différents à celui de la société occidentale contemporaine, fascine depuis 30 ans de façon surprenante non seulement les enfants mais un public trans-générationnel et pluri-culturel qui cherche à trouver des nouveaux sens à leur vie, à travers le monde.  

L’histoire de Kiki parle d’une autre éducation des enfants, des traditions anciennes intégrées à la vie actuelle, et assimile le monde magique de façon positive au quotidien des êtres vivants, humains inclus (rien à voir avec la «démonisation» introduite par le christianisme et exécutée de façon criminelle par l’Inquisition catholique). Une histoire qui parle de rituels d’initiation faisant partie d’un processus complexe d’apprentissage de l’art de la survie et du développement des capacités intellectuelles, spirituelles, psychologiques et physiques, propres à chacun. Une conception de vie intégrative, non excluante, si loin de la compétitivité préconisée dans les écoles de nos enfants et de la désintégration sociale exacerbée par les prophètes commerciaux de l’intelligence artificielle aujourd’hui.

Par delà la beauté du dessin et le traitement soigné de l’image, l’histoire de Kiki n’est pas juste l’aventure extravagante ou exotique d’une jeune famille, mais une histoire qui questionne sur le mode d’être-dans-le-monde et la façon d’exister dans-la-société humaine. Kiki est une fille de 13 ans et, au début de l’adolescence, comme toutes les jeunes (filles de sorcières), elle doit suivre la tradition et quitter sa famille pour accomplir son initiation à la vie de sorcière adulte. Elle quitte son environnement rural (volant sur son balai) pour se diriger vers une ville où n’existent pas les sorcières, où la vie dite « magique » n’a pas lieu ni reconnaissance, où elle doit se débrouiller seule pendant une année. Soutenue par ces parents (Kokiri la mère et Okini le père), ce voyage initiatique, elle le réalise en compagnie de son animal allié, un chat noir nommé Jiji, par une nuit de pleine lune assombrie par une lourde tempête qui met à dure épreuve ses nerfs et son courage. Kiki ne connait pas la mer et, survivant à l’ourangan, elle choisit de se diriger vers une ville portuaire (Koriko) pour tenter d’y réaliser son dessin (destin). 

Toutefois, et à la différence d’autres sorcières de son âge, Kiki n’a pas de « spécialité » magique, elle n’a pas de pouvoir spécifique et doit trouver elle-même son chemin de développement personnel et, à fortiori, sa place dans la société. Dans la ville, Kiki est logée par Osono, une jeune boulangère qui essaie de survivre, redonnant à cet artisanat primordial la noblesse perdue dans le temps (par l’industrialisation et la modification génétique des graines). La jeune sorcière découvre ainsi le monde commercial et au passage l’isolement des gens âgés. Alors, elle décide de mettre ses qualités au service des autres. Avec son balai comme moyen de transport extraordinaire, volant non-polluant et exempté des lois de circulation terrestre, elle fait du troc avec sa logeuse en livrant par les airs le pain à ses clients, notamment les plus vieux qui ont du mal à se déplacer pour faire les courses. 

La petite sorcière, jusque là épargnée des vices et mesquineries générées par la lutte acharnée de la survie en ville, doit s’en sortir en multipliant ses réserves de générosité, d’amabilité, de gentillesse et de bonne volonté. La vie devient plus dure que ce qu’elle pouvait imaginer, mais son enthousiasme, sa force de caractère et la légèreté de son esprit empli d’espoir, l’aident à surmonter tous les obstacles, et à poursuivre avec joie le chemin d’accomplissement de ses rêves de vie. Dans ses moments libres, elle se lie d’amitié avec Ursula une jeune femme de 18 ans et un jeune garçon nommé Tombo.

Kiki avance vers son indépendance à travers la découverte et l’affirmation de sa propre identité et ses talents. Surmontant la dépression que, l’isolement et l’agressivité des autres dans un environnement étranger, la touche dans sa fragile intimité. 

Mais attention, Kiki, ne va pas en ville pour gagner de l’argent et faire du shopping, vendre sa force de travail dans n’importe quelle fonction pour s’adonner à la consommation et se faire des amis dans les bars ou les discothèques. Elle porte des valeurs nommées autrefois « humanistes », de sociabilité solidaire, de respect de soi et des autres, de droit à la différence et à la liberté de choix, de mouvement et de pensée, d’égalité sexuelle et d’origine. Le tout, dans le respect de la nature, et l’ouverture vers une vie bien plus riche que le simple matérialisme économique. 

Cette histoire nous rappelle aussi les limites de nos sociétés dites « développées ». La décadence de nos villes, les nouveaux esclavages économiques et la dangerosité engendrée par la misère collective ne facilitent pas l’exode des jeunes filles de l’espace rural vers les villes (une fille de 13 ans, seule dans une ville contemporaine, est une proie exposée à tous les dangers).  Mais elles suscitent le questionnement et peuvent faire évoluer la pensée et la volonté d’action vers la création de nouvelles valeurs autres que le « standing social » et « le pouvoir d’achat », rabâchées comme autant d’objectifs de vie aujourd’hui pour les jeunes errants dans le labyrinthes de la téléphonie, la nano technologie et l’intelligence artificielle.

Les trois livres sont publiés par les Editions Glénat, partenaire des Studios Ghibli en France ; L’Art De Kiki La Petite Sorcière, révèle au lecteur les arcanes de la conception de l’œuvre (depuis les premiers dessins jusqu’à la transcription du scénario), met en relief l’art de l’animation au sein du Studio Ghibli et raconte des anecdotes de la production cinématographique. Anime Comics, l’édition bande dessinée, en format manga suivant la tradition éditorial japonaise (lecture inversée), reproduit l’histoire intégrale de Kiki, depuis son départ jusqu’à son retour symbolique sous forme d’une lettre rassurante adressée à ses parents. Kiki la Petite Sorcière est un résumé de l’histoire et une sélection des plus belles images en version papier du film d’animation homonyme. Un cadeau triangulaire que votre enfant et vous même apprécieront sans doute.

HAYAO MIYAZAKI

L’Art de Kiki la Petite Sorcière, 212 pages

Anime Comics, 578 pages

Kiki la Petite Sorcière, 116 pages

(Editions Glénat)

 

 

En concert 

The Yellow Socks Orchestra joue la musique de Joe Hisaichi. Concert symphonique avec le concours de 100 musiciens.

 

Le 29 janvier à Lyon, le 30 à Nice, le 31 à Toulon ; le 1er février à Montpellier, le 6 à Strasbourg, le 7 à Amneville, le 11, 12 et 13 à Paris (Grand Rex), le 14 à Orléans, le 15 à Nantes, le 20 à Pau, le 21 à Toulouse, le 22 à Bordeaux, le 26 à Lille, le 28 à Reims ; le 1er mars à Dijon.