DU TRAVAIL BIEN FAIT
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
Tireur d’élite de la Marine Américaine, Chris Kyle détient le record d’Irakiens tués (250 revendiqués, 160 reconnus en 9 mois de campagne). Auteur d’une autobiographie à succès (Clint Eastwood en achètera les droits au bénéfice de son film American Sniper), le soldat se consacre par la suite à la réinsertion de ses camarades souffrant de troubles post-traumatiques. C’est l’un d’eux, Eddie Ray Routh, qui, sous l’emprise de l’alcool et des drogues, l’abat le 2 février 2013.
Il considérait ceux qui tombaient sous ses balles comme des sauvages, et lui-même ne dédaignait pas la défroque de soldat de Dieu. Chris Kyle est emblématique d’une certaine Amérique pieuse, impérialiste et basse de plafond. Son parcours (tout d’abord, et avant l’uniforme, cowboy puis champion de rodéo) n’exclut pas une étape de déchéance (l’alcoolisme, la violence conjugale jusqu’à une menace de divorce), et la rédemption, comme un chemin de croix pour ce fils du Texas. Qualifié à longueurs de gazettes de héros et de légende américaine, il reste à l’origine du film de guerre le plus rentable de l’histoire du cinéma et, partant, du plus important succès commercial de Clint Eastwood. Pour leur première incursion dans l’histoire contemporaine, le scénariste Fabien Nury (on lui doit entre beaucoup d’autres un La Mort De Staline) et le dessinateur Brüno (ses prédilections vont à la science-fiction, mais il a également orienté des albums vers la pègre noire américaine des 70’s), teintent d’un noir polar le quotidien de ce mythe à l’américaine, considérant que lorsque la légende dépasse la réalité, alors on imprime la légende (L’homme Qui Tua Liberty Valance, de John Ford). On n’oubliera pas toutefois, au fil des pages, le pitoyable conflit entre le gouverneur du Minnesota et Kyle, ou l’attitude âpre au gain de sa veuve. En un découpage parfaitement factuel, chronologique et cinématographique, la paire revient en conclusion et comme une morale de la schizophrénie, sur le personnage d’Eddie Ray South (depuis condamné à la prison à vie), qui pensa qu’assassiner une légende ferait de lui une légende. Il avait tort.
FABIEN NURY/BRÜNO
L’homme Qui Tua Chris Kyle
Editions Dargaud, 164 pages, 22,50 euros