YOUN SUN NAH

VARIATIONS INTROSPECTIVES

PAR FRANCISCO CRUZ

Nouvelle résidence, nouveau projet, nouvelle formation, nouveau label. Immersion, le nouvel album de la chanteuse coréenne, traduit un changement profond, artistique et spirituel. Retrouvailles au milieu de sa nouvelle tournée européenne.

Après Paris et Séoul, on vous retrouve dans les rues de Brooklyn, New York. Et après un album « américain » vous nous surprenez avec ce nouvel opus en compagnie d’un groupe français sous la direction de Clément Ducol (le compagnon de Camille).

En 2014, j’ai été invitée à enregistrer pour un hommage à Nina Simone (Autour De Nina), dont Clément était le producteur. Je n’avais jamais travaillé avec des sons électroniques, et j’ai été heureusement surprise du résultat. Je me suis dit que, si j’avais l’occasion, j’aimerais bien faire un album avec lui. Quatre ans plus tard, j’ai eu envie de faire un album complètement différent aux précédents, sans me soucier des fidélités artistiques (Youn Sun Nah avait joué avec son premier groupe pendant 10 ans, avec le guitariste Ulf Wakenius aussi, et avec « son » groupe américain durant 3 ans, ndlr).

Ces derniers temps, vous avez aussi eu l’occasion de jouer avec des musiciens traditionnels coréens, puis avec des instrumentistes brésiliens, mais aussi avec Nguyên Lê, Erik Truffaz, Dhafer Youssef…

Oui, et toutes ces expériences m’ont donné envie d’explorer d’autres sons. Jusqu’à là aussi, j’avais enregistré tous mes albums dans les conditions du live, et j’avais envie de passer plus de temps en studio, à essayer des nouvelles formules, sans pression. C’est à ce moment que j’ai pensé à Clément, nous avons enregistré à Paris en septembre dernier : Clément au piano, à la guitare, au marimba, en compagnie de Pierre François Dufour à la batterie, au violoncelle et aux percussions. C’était comme un laboratoire, exigeant et agréable à la fois.

Une façon de travailler plus confortable ?

Comme c’était nouveau, c’était aussi très excitant. J’ai eu la sensation de redevenir une enfant, tellement tout était fascinant. Faire cet album fut une expérience très différente, et je suis très curieuse de connaître la réaction du public après les concerts. Sur scène je le vis comme un nouveau départ. Le son est différent, mais je n’ai pas changé ma façon de chanter !

Après une dizaine d’années et quatre disques avec la maison Act, vous signez chez Warner… Quel est votre sentiment, en plein processus de dématérialisation de la musique ?

Je suis très contente, et à la fois inquiète pour le futur. Après avoir fini mon contrat chez Act, j’ai eu plusieurs propositions, la meilleure étant celle d’Art Music (Warner) aux Etats-Unis. J’y découvre une autre façon de travailler la promotion, le marketing, mais l’important pour moi reste le domaine artistique. Je n’ambitionne pas une grande carrière internationale, mais c’est encourageant d’attirer l’attention d’une importante compagnie américaine. Laquelle montre un intérêt certain pour le travail que j’ai développé en France et en Europe.

Le format du trio et les musiciens choisis, échappent à l’idée que l’on peut se faire d’une formation jazz. Le répertoire et les arrangements aussi, ils vous situent plutôt dans le monde de la chanson nouvelle.

Le répertoire je l’avais ainsi prévu avant le début de la collaboration avec Clément. Il aurait préféré travailler seulement sur mes compositions, mais comme j’aime bien faire des reprises, nous sommes arrivés à un point d’équilibre. Avant, j’avais peur de montrer ma musique ; maintenant, j’éprouve plus de plaisir à écrire, et l’avis de Clément m’a encouragé à créer davantage.

Dans votre nouveau répertoire on trouve des chansons de Marvin Gaye, de Georges Harrison, de Leonard Cohen, des poèmes de Rumi, une pièce d’Albéniz … Des chansons marquantes, fortes, qui suggèrent un changement chez vous ?

Vous lisez mes pensées ? En préparant cet album, j’ai beaucoup réfléchi sur l’état actuel du monde… Il y a tellement d’injustice, tellement de tristesse, tellement de violence, qu’on peut penser à l’impossibilité de la paix. L’état de la planète empire, on peut douter de l’utilité de toute cette technologie, qui évolue à une vitesse sidérante, si le monde est en train de mourir. On parle d’amour, mais les gens en sont orphelins, et le cherchent désespérément dans le commerce des sites de rencontre… C’est carrément absurde. Pendant longtemps je me suis fixée d’aller de l’avant (à Paris, Youn Sun Nah a étudié dans 4 écoles, ndlr), de réussir mes projets, de travailler, travailler… Une attitude typiquement asiatique me direz-vous ! Maintenant, j’arrive à faire une pause, à lever la tête et à regarder loin. Et ce que je vois ne me plaît pas du tout.

Entre temps, vous avez eu l’occasion de célébrer le Jazz Day à La Havane. Comment avez-vous vécu cette visite au pays de la rumba et du guaguanco ?

C’était incroyable ! À Séoul, j’ai grandi avec la peur du communisme et je me suis retrouvé à Cuba, un autre mythe communiste, mais un pays tellement différent de la Corée du Nord, un pays chaud où la musique est un élément essentiel de la vie. Je me demandais, comment ces gens peuvent être tellement libres, de jouer, de danser, de boire et de fumer, dans un pays communiste ? On m’a dit que 70% des hommes y jouent de la musique, et je me suis retrouvée là à chanter entourée de légendes du jazz mondial, accompagnée par Herbie Hancock, Esperanza Spalding, Marcus Miller… J’étais impressionnée surtout par les femmes si sensuelles ; même les mamies, sont sexy ! Elles dansent avec un swing qui fait frémir… Mais j’ai vu aussi la pauvreté, la précarité… Et pourtant, on ne voit pas de gens malheureux. On se dit qu’ils mériteraient d’avoir plus de choses, une vie plus aisée, mais on sait aussi que dans les sociétés dites « riches », beaucoup de gens sont malheureux et manquent de tout…

YOUN SUN NAH

Immersion

(Arts Music/Warner)

LE 6 février à boulogne-billancourt/carré bellefeuille, le 8 février à marciac/l’astrada