CONGRESO

«nous étions très influencés par le mouvement hippie et le rock psychédélique. Plus tard, notre musique est devenue davantage perméable à la musique classique contemporaine, et s’est rapprochée du jazz…»

PAR FRANCISCO CRUZ

A l’origine, contemporain des brésiliens Caetano Veloso et Egberto Gismonti, du cubain Silvio Rodriguez, de l’argentin Luis A. Spinetta, de Peter Gabriel et Laurie Anderson, de Brian Eno et Santana, de Shakti et Ryuichi Sakamoto… Le groupe Congreso est, pour beaucoup de musiciens, le groupe le plus créatif de la musique populaire chilienne des quarante dernières années.

Devenu référence incontournable pour les nouvelles générations de musiciens, le projet artistique du groupe chilien fut aussi vecteur d’espoir et de survie durant les années de terreur imposées par la dictature militaire (1973-90), et un chant allègre et dansant à l’arrivée de la nouvelle démocratie. Congreso a joué pour la première fois en France en 1993 (au festival Les Nouveaux Sons de l’Amérique, Paris/Auditorium Châtelet). Son leader et compositeur de la plupart (des centaines) de morceaux enregistrés est le batteur Sergio Gonzalez ; âgé de 15 ans à la naissance du groupe, il y accueillit de nombreux jeunes musiciens, tout en gardant la même structure instrumentale (octet). Nous l’avons rencontré à Santiago, une étrange soirée d’hiver austral, calée entre la frénétique célébration d’une rencontre de football survenue la veille et une manifestation d’indigènes violemment réprimée par la police le lendemain.

Créativité et longévité sont des aspects qui marquent la vie de Congreso. Durant plus de quatre décennies et vingt-trois albums, dans un processus évolutif incessant.

Ce qui rend intéressant et agréable le travail du groupe, et le temps que nous avons passé ensemble, c’est justement ce désir de se renouveler, de se réinventer, de vouloir proposer dans chaque album des musiques différentes. Même si un disque a du succès auprès du public, nous n’essayons jamais de répéter la formule. Nous voulons toujours changer. En tant que compositeur, je tente toujours de trouver des nouvelles sonorités, de me surprendre moi-même, et aussi le public. Congreso est toujours en mouvement, c’est la clef de sa longévité.

Vous perdurez dans le temps, tout en accueillant une panoplie d’excellents musiciens, dont certains partent ensuite réaliser leurs propres projets.

Dans ce sens, Congreso est comme une école supérieure d’art. Du point de vue du compositeur, je fais la musique avec les musiciens qui veulent bien jouer avec moi. Pendant des longues années, Francisco Sazo – auteur et chanteur du groupe -, a dû quitter le Chili (exil en Belgique, ndlr) nous privant de ses beaux textes. En revanche, sont arrivés d’ excellents instrumentistes, comme le bassiste Ernesto Hollman (formé auprès de Jaco Pastorius, ndlr), le percussionniste Joe Vasconcellos, le pianiste Anibal Correa… Mon défi était d’écrire la musique pour ces musiciens. Quand Sazo est revenu, je l’ai invité à nous rejoindre. À partir de ce moment, Congreso est devenu moins expérimental, il nous fallait chercher un équilibre entre la musique instrumentale et la chanson contemporaine, contraint aussi par les caractéristiques d’un marché trop petit pour la musique instrumentale. Si Congreso avait continué exclusivement dans l’expérimentation, il aurait disparu depuis longtemps. Au Chili, les salles sont trop petites, les festivals de musiques instrumentales sont très rares. Pour jouer durant toute l’année, il nous faut constamment créer de bonnes chansons. Mais nous avons un public fidèle.

Votre musique est inclassable, une fusion de folk-jazz-pop-contemporaine, très originale. Et ce double répertoire, instrumental et vocal, est assez rare en Amérique Latine.

Aujourd’hui, avec le recul, je pense qu’il n’y avait pas beaucoup de génie dans ce choix de mélanger différentes musiques. C’était dans l’air du temps. Au début des années soixante-dix, je me souviens des peintres muralistes de la Brigade Ramona Parra (jeunesses communistes, ndlr), qui couvraient de toutes les couleurs les murs de nos villes. Les musiciens de gauche (très proches du gouvernement socialiste de Salvador Allende, ndlr) étaient très attachés au folklore et aux musiques ancestrales, et nous, plus jeunes, nous étions très influencés par le mouvement hippie et le rock psychédélique. Congreso s’est nourri spontanément de toutes ces influences esthétiques. Plus tard, notre musique est devenue davantage perméable à la musique classique contemporaine, s’est rapprochée du jazz et s’est éloignée un peu du rock, mais son évolution ne s’est jamais estompée. J’ai toujours été à l’écoute de divers courants musicaux.

Votre répertoire est (presque) absolument original. La créativité impressionne, et les reprises sont très rares…

Congreso est très réticent aux recréations de musiques d’autres compositeurs. Nous avons travaillé avec des poètes ou compositeurs de façon ponctuelle et très sélective. Curieusement, notre premier single était un poème de Pablo Neruda. Après, on nous a proposé de participer à un grand projet autour des anti-poèmes de Nicanor Parra et des œuvres d’artistes peintres, autour de la Convention Internationale des Droits des Enfants, signée au Chili. Quelques années plus tard, nous avons participé à un disque hommage à Victor Jara (chanteur martyre, mort sous la torture militaire après le Coup d’Etat (1973), les deux mains amputées avec une hache et criblé de 44 balles,  ndlr). Récemment, nous avons repris quelques thèmes de Violeta Parra, présentés lors d’un événement dédié à sa mémoire. Avec des arrangements pour Orchestre Symphonique, des musiciens invités et Congreso. C’était très beau, mais nous avons du mal à travailler sur la musique des autres. Notre propre créativité nous en empêche. Même si, incontestablement, c’est un beau défi de travailler sur la mémoire collective.

La votre a été une musique de survie, d’espoir, durant les années noires de la dictature. Paradoxalement, en temps démocratiques, elle est toujours peu diffusée dans les médias.

Durant les années de dictature militaire, Congreso à pris la décision de rester au Chili, et de faire de la musique depuis les tranchées. À la différence des groupes exilés, nous avons vécu au Chili pendant toute cette période, développant notre musique et enregistrant des disques dans des conditions très difficiles. Rétrospectivement, on se rend compte que cette musique a été bénéfique pour tout le monde : pour nous d’abord, mais aussi pour les gens qui l’écoutaient. On vivait la complicité avec ceux qui souffraient, avec l’espoir que la situation devrait changer un jour. Il est vrai aussi qu’après, avec le retour à la vie démocratique, s’est produit une dissociation totale entre la politique culturelle du gouvernement et une direction exclusivement commerciale adoptée par les médias. Le meilleur exemple est le prix Altazor (prix attribué chaque année par les artistes à un de leurs collègues, en reconnaissance à son travail créatif, ndlr). Tous les musiciens qui l’ont gagné sont aujourd’hui absents des médias. Il y a un écart énorme entre ce qu’ils diffusent, et ce que les artistes voudraient proposer. Le public ne reçoit pas le meilleur de la création musicale, ni à la radio, ni à la télévision. Et l’État ne fait rien pour inciter les médias à changer cette situation.

Un nouvel album, Fin del Show, est annoncé pour cette année. Avez-vous évoqué parfois la possibilité de la dissolution de Congreso ?

L’idée de disparaître à toujours été présente dans notre parcours de vie. Curieusement, cela nous a apporté un certain détachement par rapport à la chronologie. On va continuer jusqu’à la fin (de Congreso) sans se soucier du temps. Nous ne sommes pas des célébrités. Nous avons la sensation d’être comme nous étions au début : un groupe alternatif. Nous avons les mêmes problèmes pour diffuser notre musique. Par moments, c’est très difficile à vivre. Malgré tout, il n’y a rien à l’horizon qui annonce la mort de Congreso. Pour nous, notre ensemble est un petit bateau sur la mer, qui pourrait disparaître un jour, sans que personne s’en rende compte. Ce serait pas mal, poétique même, après tant de musique, une mort silencieuse…

CONGRESO (sélection discographique)

Viaje Por La Cresta Del Mundo (Emi/1981)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sinfonico (Machi/2013), Con Los Ojos En La Calle (Machi/2010), Medio Dia (Iris Musique/H Mundi/1998), Los Fuegos Del Hielo (Alerce/1993), La Pichanga (Alerce/1992), Pajaros De Arcilla (Sony Argentine/1984), Ha Llegado Carta (Emi/1982), Viaje Por La Cresta Del Mundo (Emi/1981)