VOYAGE AU BOUT DE LA MORT
PAR LUNA CRUZ
Ce film, ce sont des images de la guerre. Infrarouges. Des images thermiques. Celles que la réalisatrice a trouvé en libre accès sur Internet, celles que les soldats filment depuis leurs hélicoptères en zone de guerre (ici surtout en Irak et en Afghanistan). Maintenant, on peut les voir sur grand écran, les observer à vitesse irréelle, et la voix de Nathalie Richard nous guide tout en nous laissant les appréhender.
Le propos est bien de nous mettre à la place du soldat, du tireur niché quelque part dans les airs. La caméra suit et accompagne ses mouvements, l’image c‘est son regard qui ici devient aussi le nôtre porté sur les scènes de guerre.
Quand les soldats doivent-ils intervenir, ouvrir le feu et tuer ?
La réponse et la doctrine sont simples en apparence : quand l’intention de nuire est présente, quand le comportement de la cible est hostile, suspect. Mais, comment juger de l’hostilité ? Et tout comportement suspect mérite-t-il la mort ?
Les images sont floues, l’hélicoptère est loin, parfois très loin. La mort n’est pas tangible. Les images floues sont les seules données à notre disposition. Ces images nous les connaissons toutes, diffusées sur les chaines et les JT et comme aseptisées, virtuelles, la distance vis-à-vis de la mort, de la réalité de la guerre, quand on travaille avec ces images aussi. On pense au réalisateur de « Bienvenue à Gattaca », Andrew Niccol, et à son film « Good Kill », où Ethan Hawke interprétait un soldat américain qui, depuis une base située aux États-Unis regardait pendant des heures des images de drones sur des écrans avant de tuer. Une réalité encore plus distanciée et déconnectée qu’ici, où les images sont (encore) celles captées par des êtres humains.
Le point fort du documentaire, c’est le texte, qui décide d’expliquer la position des individus au cœur de l’action, ceux dans l’hélicoptère (les soldats qui tuent) et ceux à terre (les potentielles victimes).
Les populations civiles des zones de guerre se sont habituées, dans la contrainte, à être constamment épiées, à se savoir en permanence dans le regard de l’autre, dans un viseur menaçant, dans une possibilité de mort à la moindre action suspecte. Les paysans lâchent leurs outils au moindre bruit d’hélicoptère, de peur qu’ils soient pris pour des hommes armés. Au nom de la sécurité, les corps-silhouettes sont en permanence traqués, dans un monde sans proximité, sans visages, sans regards, désincarné.
La rencontre de la réalisatrice avec un soldat français permet de se plonger dans son point de vue, dans sa vision, dans sa retenue. Son propos, on peut le regretter, n’est pas dans sa voix mais transcrit sous la forme du discours rapporté, dit par la narratrice Nathalie Richard.
La technologie facilite la surveillance et la traque permanente des populations : « les toutes dernières caméras de vision nocturne, (elles arrivent) parviennent à supprimer la nuit ».
IL N’Y AURA PLUS DE NUIT
de Eleonore Weber
narration Nathalie Richard
UFO Distribution
Date de sortie : 16 juin 2021