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PAR ROMAIN GROSMAN
L’univers vaste et spirituel (plus d’un demi-siècle de musique qui épouse toutes les esthétiques) du saxophoniste et le jazz mémoriel de Wynton Marsalis et du Jazz At Lincoln Center Orchestra sont-ils compatibles ? La réponse affirmative et magistrale est au cœur d’un live incontournable.
Un an après un magnifique hommage au salsero Rubén Blades (Una Noche Con Rubén Blades, arrangé par le bassiste du Jazz At Lincoln Center Orchestra, Carlos Henriquez), parait un autre sommet produit par Wynton Marsalis et le JLCO. En 2015 et pour trois soirs, Wayne Shorter fut l’invité et davantage de l’institution qui régulièrement, en plus de revisiter l’héritage des géants du jazz – Duke Ellington, John Coltrane, Charles Mingus… – croise le fer avec des invités bien plus divers que ne le laisse supposer l’image paresseusement accolée ici au trompettiste et à ses partenaires : Eric Clapton, Chucho Valdès, Jon Batiste, Willie Nelson, The Sachal Ensemble (concerts mémorables à Marciac, avec des maitres de la musique pakistanaise)…
« Il incarne le plus haut stade de sophistication de notre musique. Vous ne trouverez pas plus brillant que lui », insiste Wynton Marsalis en présentant son invité de marque. À quatre-vingt-un ans (au moment de l’enregistrement), le saxophoniste n’a plus forcément l’investissement physique qui le poussait dans de longs chorus. Son jeu s’est resserré, ramassé sur l’essentiel, tout en conservant la dimension parfois mystique de sa force créative. Comme Marsalis, Shorter a joué au sein des Jazz Messengers d’Art Blakey, et même s’il a par la suite emprunté diverses pistes vers la fusion, les musiques du monde, une écriture sensorielle plus abstraite, le contexte – le big band avec une large section de cuivres -, et l’adn de ses hôtes, le ramènent (lui et ses œuvres), vers un jazz plus charnel et terrestre que celui de ses dernières années. Loin de le contraindre, on sent au fil des plages, le plaisir du musicien, du sage, à renouer avec une forme presque juvénile de son art. Renvoyé par le swing impitoyable et l’enthousiasme de ses jeunes partenaires à son endroit, au moment de reprendre ses grands thèmes (« Armageddon » (tiré de Night Dreamer), « Teru » (Adam’s Apple), « Endanged Species » (Atlantis)…), le maestro délivre une performance lumineuse, en forme de témoignage, où l’on célèbre la source autant que l’intemporalité de sa longue quête. Soutenu magnifiquement par Wynton Marsalis en personne et une rythmique toujours aussi formidable – Dan Nimmer (piano), Carlos Henriquez (basse), Ali Jackson (batterie) – le cœur et le souffle du jeune Shorter semblent battre à nouveau dans la poitrine du vétéran.
WAYNE SHORTER – JAZZ AT LINCOLN CENTER ORCHESTRA WITH WYNTON MARSALIS
The Music Of Wayne Shorter
(Blue Engine)
JAZZ