C’est une pièce de collection. Quand l’industrie musicale devient davantage immatérielle et purement commerciale, la parution de ce double album de l’un des orchestres maliens les plus populaires des années 60 et 70, présentant des plages qui retracent des heures cruciales de l’histoire politique et culturelle du Mali, fait office d’événement d’exception et de louable effort éditorial.
PAR FRANCISCO CRUZ
Le Super Biton de Ségou est indéfectiblement lié à l’époque de l’indépendance du Mali et d’un nombre important de pays africains, libérés du colonialisme européen. Il évoque des heures de violence et de douleur, suivies de moments de joie, d’euphorie et d’espoir qui accompagnaient ces transitions. Un espoir hélas mille fois trahi par la cupidité des uns et l’avidité des autres.
La musique et surtout les textes du Super Biton, inspirés de musiques traditionnelles collectées dans les campagnes, avaient alors une mission bien définie : celle de mettre en valeur le patrimoine culturel des régions. A Ségou il y avait les Bobo, les Bambara, et surtout les chasseurs : chaque ethnie trouvait ses morceaux favoris dans le répertoire du fameux orchestre. Les chansons étaient éducatives et instructives. Chaque morceau avait son sens, son propos, dans la ligne d’une idéologie de libération propre à cette époque.
Proverbes, chansons morales qui incitaient la jeunesse malienne à travailler, à faire preuve de courage et de bravoure : les airs du Super Biton sonnaient dans l’air du temps de cette vague post-indépendance.
«Siséni», l’un de ses plus grands succès – pourtant absent de cette sélection -, était ainsi éloquent : « Il ne faut pas trop se montrer, ou faire d’excès de zèle, parce que tu es directeur ou ministre. Non ! N’écrase pas les autres. On ne sait jamais ce qui va t’arriver demain», Un message clair à l’adresse des politiciens tentés d’abuser de leur pouvoir et qui résonne encore aux oreilles des autorités du monde entier.
Né de la fusion de plusieurs formations régionales au milieu des années 60, le Super Biton de Ségou est découvert par le grand public malien lors des Semaines de la Jeunesse, où il rafle plusieurs prix de 1964 à 1968. Puis, la reconnaissance nationale arrive en 1970, pendant la première Biennale culturelle. Par la suite, le Super Biton est sacré meilleur orchestre de 1970 à 1976. En France, le public le découvrira bien plus tard, invité par Christian Moussé au festival d’Angoulême.
Soixante ans après sa création, le Super Biton conserve l’image d’un orchestre prestigieux, synonyme de fête réussie. Et pourtant, sa longue histoire de musique et de succès, est aussi jalonnée de désillusions…
L’orchestre connut en effet sa période la plus faste dans les années 70 … Ses divers prix renforcèrent une reconnaissance qui amena l’orchestre au Palais de la présidence malienne, pour animer les réceptions officielles. Mais, en 1991, avec le changement de régime, on signifia aux musiciens de se prendre en charge : les Biennales cessèrent, et les aides aux artistes se tarirent. Ces musiciens ne furent plus fonctionnaires de l’état malien, et donc des pensionnaires à vie. Marqué par le décès de plusieurs membres historiques, les déceptions et les errances, le groupe se mit sur pause et les musiciens tentèrent l’aventure en solo.
Le Super Biton de Ségou fit son retour sur scène lors d’un grand concert, le 17 septembre 2021, à l’Institut Français du Mali. Avec quelques anciens, mais surtout des jeunes musiciens qui prenaient momentanément la relève à l’occasion de la présentation de cet album que sort ces jours-ci en France.
LE SUPER BITON DE SEGOU
Afro.Jazz.Folk Collection Vol.1
(Deviation Records/L’Autre Distribution)