UN HÉRITAGE EN PARTAGE
PAR ROMAIN GROSMAN
Le 28 septembre dernier, le saxophoniste portoricain et le pianiste vénézuélien enregistraient en live à la Jazz Gallery de New York, sans public, en une seule prise, ce magnifique recueil de boléros en duo, prolongeant un passionnant travail sur le répertoire latino américain.
« Lorsque nous jouons ces chansons, nous pouvons en entendre les paroles dans un coin de nos têtes, ce qui crée un lien très profond, difficile à reproduire dans une autre situation. C’est vraiment au-delà du familier. Ces chansons font partie de nous. » Une tradition, un héritage en partage : les deux complices – réunis en de multiples occasions par le passé (Perdomo est l’un des piliers du quartet de Zenón), notamment sur le superbe Alma Adentro (en 2011), poursuivent une collaboration fertile étroitement liée à leur patrimoine et à une culture commune.
Un son et un jeu d’une grande expressivité : Miguel Zenón est l’un des plus beaux saxophonistes en activité. « En tant qu’instrumentiste, j’essaye de faire du saxophone le prisme de ma créativité. Je pense souvent à mes chanteurs favoris – Ismael Rivera, Feliciano et Andy Montanez -, dont la personnalité et la singularité se manifestaient à travers un art de l’interprétation unique. » Comme ses modèles et devanciers, le musicien s’empare de ces standards, mélodies familières au-delà de l’Amérique du Sud, mais qui renvoient Zenón et Perdomo au souvenir de leurs parents et grands-parents, et qui, au même titre que Charlie Parker et Thelonious Monk, fondent leur lien à la musique et au jazz, pour en offrir une relecture sans afféterie, d’une traite, fidèle à l’empreinte que laissent en chacun de nous les airs de notre enfance.
Liberté de ton, complicité, puissance de l’enracinement mémoriel et partage des racines : les raisons sont multiples qui donnent toute sa beauté à ce recueil de thèmes magnifiés par la parfaite harmonie des deux hommes : « Como Fue », popularisé par Benny Moré, « Alma Adentro » de Sylvia Rexach, « un air qui me rattache à ma mère, qui l’adorait » précise Zenón, « Ese Hastio » enregistré par Ray Barretto (sous le titre « Piensa En Mi ») sur le fameux album Rican-Struction (en 1979), « La Vida Es Un Sueño » du cubain Arsenio Rodriguez, « Que Te Pedi » immortalisé par la diva latine « La Lupe » ou enfin « Juguete », du légendaire Bobby Capo, devenu classique par la voix de Cheo Feliciano sur son album La Voz Sensual De Cheo (en 1972). Six moments à savourer. Un magnifique album.
MIGUEL ZENON & LUIS PERDOMO
El Arte Del Bolero
(Miel Music)
JAZZ