Le monde de la musique – du jazz au rock en passant par la musique contemporaine du monde, de Bombay à New York, de Rio de Janeiro à Oslo -, se recueille cette fin d’année pour honorer la mémoire de Zakir Hussain, l’un des musiciens le plus importants de la diaspora indienne en occident. Disparu en décembre de l’an dernier, après une vie très riche de succès artistique et de reconnaissance.
PAR FRANCISCO CRUZ
Zakir Hussain a pris le même sentier que son ami Nana Vasconcelos, vers l’éternité musicale des plus virtuoses percussionnistes du monde. Décédé aux Etats Unis, transformé depuis la pandémie Covid en véritable cimetière des plus grands musiciens (Wayne Shorter, Jon Hassel, Chick Corea, Carla Bley, Ahmad Jamal… ), Zakir Hussain ne s’était pas produit en France depuis dix ans. Notre dernier rencontre avait eu lieu dans une petite ville du nord-est, par une soirée où la musique avait suspendu le temps (Festival Au Gré du Jazz, à La Petite Pierre, en 2012). A notre mémoire sonore, s’ajoutent quelques images de ce spectaculaire et inoubliable joueur de tablas.
Fils (et disciple) d’un autre virtuose, le tablaïste classique Alla Rakha, Zakir Hussain était déjà un brillant instrumentiste dans le monde de la musique classique de son pays quand il fit son apparition dans le monde musical occidental. C’était au début des années 70, quand les jeunes hippies de ce côté du monde cherchaient des voies de vie alternatives dans la philosophie et les pratiques bouddhistes largement répandues en Inde ; une quête de sens qui touchait aussi le monde de l’art, notamment la musique.
Zakir Hussain arriva en Europe par la porte du rock, invité par Mickey Hart le batteur de Grateful Dead en 1972, lors des séances du disque Rolling Thunder. Ce sera ensuite l’ex-Beatle Georges Harrison qui le sollicita l’année suivante pour l’enregistrement de son album Living In The Material World.
Si son père avait émerveillé le monde, accompagnant le sitariste de légende Ravi Shankar (père des chanteuses Norah Jones et Anoushka Shankar), Zakir Hussain rejoint le jazzman John McLaughlin en 1973 pour fonder le groupe transculturel Shakti (concept sanskrit qui désigne l’énergie créatrice féminine, ndr). Avec la complicité de remarquables musiciens carnatiques L. Shankar au violon et T.H. Vinayakram (dit Vikku) aux percussions. Skakti était la réunion de quatre musiciens ouverts à toutes les expériences créatives, un signe qui distinguait l’état d’esprit d’une partie importante des musiciens de cette époque. Avec Shakti, Zakir Hussain jouera six ans à travers le monde et enregistrera trois albums. Leur «Danse du Bonheur» deviendra une référence du dialogue entre musique indienne et jazz. Après une pause de 20 ans, il retrouvera McLaughlin et reformera le groupe sous l’appellation Remember Shakti, avec le concours du chanteur Shankar Mahadevan et du percussionniste Selvaganesh (fils de Vikku). Remember Shakti enregistrera deux albums et réalisera de nombreuses tournées reliant l’Europe à l’Inde et les Amériques au Japon.
Tout au long de son parcours, Zakir Hussain a joué et enregistré avec des musiciens de plusieurs latitudes, et formé d’innombrables joueurs de tabla. Parmi ces centaines de collaborations, on peut citer celles avec Charles Lloyd, Pharoah Sanders, Bill Laswell, Dave Holland, Dhafer Youssef, des performances mémorables aux côtés de Jan Garbarek, Nana Vasconcelos, L. Shankar et Trilok Gurtu, et dans sa prodigieuse discographie on serait tenté de réécouter à l’infini Making Music avec Hariprasad Chaurasia, Jan Garbarek et John McLaughlin, ainsi que Song For Everyone avec L. Shankar, Trilok Gurtu et Jan Garbarek.
En 2020 Hussain et McLaughlin avaient reformé Shakti, qui n’a pas pu se produire et publier de nouvel album jusqu’en 2023 ( This Moment ) à la fin des confinements. Les retrouvailles furent cette fois de courte durée. Hussain malade, aura néanmoins pu assister à la réception de trois Grammy : « Best Global Music Album » pour This Moment, « Best Global Music Performance » pour Pashto composé par lui et le joueur de banjo Béla Fleck, ainsi que « Best Contemporary Instrumental Album » pour As We Speak avec Béla Fleck, le contrebassiste Edgar Meyer et lui-même aux tablas.
Notre souvenir éternel pour un musicien remarquable et notre remerciement pour la beauté de sa musique.