…D’ECOLOGIE MUSICALE
PAR FRANCISCO CRUZ
ECM – Edition of Contemporary Music – fête ses 50 ans – dans divers pays européens et à New York, pas en France -. L’occasion de revenir sur l’histoire du label allemand qui a marqué de son empreinte la musique et l’industrie musicale contemporaine…
Fondée par Manfred Eicher en 1969, à Munich, ECM a transformé le panorama du jazz international. Il a suscité des ouvertures et inspiré de nouvelles relations entre le jazz européen et américain, le jazz et les musiques du monde, les musiques classiques et contemporaines, les musiques nouvelles et traditionnelles, la musique et le cinéma… Au rythme de rencontres inédites et au diapason des transformations des formes de reproduction sonore, ECM a créé une esthétique musicale. Nouvelle hier, définitivement autre désormais. Cinquante ans, des centaines d’artistes et plus de mille albums plus tard, et malgré la dématérialisation des œuvres et la rentabilité immédiate exigée par le marché global, l’aventure continue, pilotée par le producteur Manfred Eicher. Les musiciens qui souhaitent enregistrer sur ECM, aiment la sensibilité du label, et adhèrent aux idées du producteur. Beaucoup de projets sont ainsi nés en studio, de groupes inédits qui par la suite partent en tournée et prolongent, parfois longtemps, une aventure naissante. D’autres albums ont été le fruit de formations déjà reconnues et adoubées par Eicher.
CONTEMPORAINEITE ET POSTMODERNITE
Le choix des genres qui cohabitent sur ECM – jazz, musique baroque, new music, folk… -, a aussi été le résultat d’une succession d’accidents dans le temps. À la fin des sixties, Manfred Eicher contrebassiste classique, jouait également dans un groupe de jazz. Les couleurs, les ouvertures vers différentes musiques, les nouvelles directions, ont surtout été l’œuvre d’artistes qui ont marqué l’histoire du label. Ainsi Don Cherry fut celui qui, par exemple, inspira Jan Garbarek d’aller puiser dans le réservoir folk norvégien. Durant les années soixante-dix et quatre-vingt, l’intérêt pour la musique minimaliste américaine – John Cage, Philip Glass, Therry Riley – explique en partie les enregistrements de Steve Reich et de Meredith Monk pour ECM. Puis, en 1984, l’enregistrement des premières pièces d’Arvo Part, aura ouvert une nouvelle voie pour des musiciens qui se nourrissaient autant de musiques anciennes que d’expressions contemporaines. Pour ce qui est du baroque, c’est Keith Jarrett lui-même qui décida de réaliser ses enregistrements de J.S. Bach. Des projets pertinents, très documentés, ouvrant de nouvelles perspectives. La diversité est à la source de l’identité du label. Le jazz qui marqua ses débuts, fut vite rejoint au catalogue par des œuvres néo classiques.
L’autre grande marque du label réside dans des choix forts initiés par Eicher. En dévorant les disques de jazz des sixties, notamment de free, le patron d’ECM s’est demandé s’il n’était pas possible de les enregistrer dans des conditions acoustiques aussi bonnes que celles qui présidaient pour le répertoire classique de chambre. Empruntant seize mille marks à un homme d’affaires de Munich, il tenta un pari fou, mais, avec les ventes du premier disque, il put produire le suivant, et ainsi de suite. Une intuition, un esprit d’improvisation, de liberté, récompensés, qui anime encore ECM aujourd’hui.
LUMIERE ET ESPRIT NORDIQUES
Commencer par le jazz a probablement permis à ECM une ouverture plus naturelle vers d’autres musiques. Manfred Eicher a apporté au free jazz un certain attachement à la forme et à la rigueur et, à l’inverse, un peu de liberté et d’ouverture au classique. Les New Series sont la traduction de cette évolution du monde classique.
ECM fut aussi un label de world music d’avant-garde, d’une qualité rare, avec Codona, Oregon, Egberto Gismonti, Nana Vasconcelos, L.Shankar, Zakir Hussain… Don Cherry joua un rôle crucial dans le développement du label. Il parcourait le monde et avait toujours des sonorités et des idées nouvelles à proposer. Des musiciens comme Hussain ou Gismonti ont leurs propres labels, mais ils ont toujours portes ouvertes chez ECM. Toutefois, malgré ses ouvertures sud-américaines, asiatiques ou méditerranéennes (Dino Saluzzi, Elina Duni, Savina Yannatou, Amina Alaoui, Trigan Mansurian, Kayhan Kalhor), ECM a gardé une identité fortement marquée par le Nord européen : un son, une atmosphère, une lumière – la musique comme substitut de la lumière du soleil -, très chers à Manfred Eicher. Une identité très importante durant la première période d’ECM, qui continue de nourrir la nouvelle génération des musiciens nordiques ayant rejoint le label (Eivind Aarset, Trygve Seim, Mathias Eick, Tord Gustafsen, Frode Haltli, Mette Henriette…)