HOMMAGE PARISIEN A RYUICHI SAKAMOTO

UN INCONTOURNABLE MUSICIEN DU MONDE

PAR FRANCISCO CRUZ

Deux ans après le décès du génial pianiste et compositeur japonais, le monde culturel parisien lui rend hommage en tant que compositeur de musiques cinématographiques. Avec un festival exceptionnel qui présente une série de films  retraçant l’évolution de son écriture pour l’image. Ouverture avec Furyo de Nagisa Oshima (où Sakamoto joue aussi un rôle protagoniste), et suite avec Minamata de Andrew Levitas, Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, Hara-Kiri: Mort d’un Samourai de Takashi Miike, The Revenant de Alejandro G. Iñarritu et L’Innocence de Hirokazu Kore-eda. Ainsi que deux films documentaires sur lui, Tokyo Mélody de Elizabeth Lennard et Coda de Stephen Namura, et un concert filmé, Opus de Neo Sora.

Des films qui jouent aussi comme le miroir de certains albums essentiels de sa discographie. Quelque temps après sa disparition, on pouvait s’attendre à la publication d’une série d’enregistrements inédits réunis dans un album posthume. Au lieu de cela, nous avons eu le plaisir de découvrir Coda, un album solitaire publié seulement au Japon il y a quarante ans, avec les compositions de sa plus célèbre musique de film, la bande sonore de Furyo (film du réalisateur Nagisa Oshima). Cet enregistrement invite l’auditeur à retrouver (ou découvrir) Sakamoto dans la seule sphère musicale, sans paroles et sans images. Et à retrouver la trace originale de son prolifique travail de composition qui, durant quatre décennies, s’est diversifié sur les sentiers de la musique orchestrale acoustique, de la techno pop, de la bossa nova, de la musique électronique expérimentale ou de la musique cinématographique.

Au sommet de sa popularité locale au sein du Yellow Magic Orchestra, avant même sa découverte en Europe en compagnie de David Sylvian et David Bowie, Ryuichi Sakamoto avait déjà construit un noyau fondateur à partir duquel allait se développer la diversité de sa création musicale ultérieure. Une musique fondamentale donc ; dont des compositions qui s’intégreraient ensuite parfaitement dans les programmes de piano solo présentés à travers le monde et que nous eûmes la joie d’écouter (à Paris, à Barcelone et ailleurs) durant les dernières années de son existence.

Nous avions suivi son parcours musical durant plus de 30 ans. Tant sa musique nous paraissait toujours fascinante. Nous l’avons rencontré pour la dernière fois en 2015 à Paris, et nous avons suivi ses interventions urgentes sur internet, lors des confinements abusifs subis par la planète entière. Sakamoto, est sans doute le musicien le plus important du Japon des quatre dernières décennies, par sa créativité et son esprit de transgression.

Après le retentissant succès mondial de la B.O du film Furyo – où Sakamoto joue un rôle majeur face à David Bowie -, et de fructueuses collaborations avec David  Sylvian, l’album Ongaku Zukan est alors le couronnement de ses recherches soniques au sein du Yellow Magic Orchestra et le situe au sommet de l’électro pop nippone de l’époque. Plus encore, car dans ce prémonitoire enregistrement, on retrouve un mélange d’ambient, de jazz, de funk et d’électro d’avant l’heure. A partir de là, la route musicale écrite ou improvisée de Sakamoto, pianiste acoustique ou claviériste électronique, sera toujours ascendante et en avance sur son temps. Un précurseur invétéré. 

Rétrospectivement, en réécoutant ses musiques de film (collaborations avec des cinéastes aux esthétiques aussi différentes que Oshima, Bertolucci, Almodovar ou Gonzalez-Iñarritu), ses performances discographiques avec des musiciens brésiliens (Caetano Veloso, Marisa Monte, Vinicius Cantuaria, Cyro Baptista, Paula et Jaques Morelenbaum…Nana Vasconcelos), et la collection chromatique et polymorphe de ses explorations musicales personnelles, Ryuichi Sakamoto apparait comme un génial créateur dans le monde de la musique populaire contemporaine. 

Depuis sa collaboration avec Nagisa Oshima, Sakamoto avait multiplié les expériences avec le septième art et signé des B.O. pour Pedro Almodovar, Bernardo Bertolucci, Peter Kosminsky, Brian de Palma, Alejandro Gonzalez Iñarritu… jusqu’au tout récent Proxima d’Alice Winocur. Sakamoto a composée aussi la musique de The Staggering Girl, film expérimental du réalisateur Luca Guadagnino (récipiendaire d’un Oscar en 2018 pour Call Me By Your Name). Présenté à Cannes en 2019, The Staggering Girl – avec Julianne Moore, Marthe Keller, Mia Goth… – est l’un des absents remarqués du festival. Ici, la musique de Sakamoto, extrêmement minimaliste  – une succession de pièces courtes, très concentrées -, opère en contrepoint du flux émotionnel, intense et torrentiel qui se joue dans les tréfonds conflictuels d’une relation mère-fille. Elle est aussi un modèle de maitrise du matériau électronique de la part d’un concertiste acoustique et grand passionné de musique brésilienne; Sakamoto, en musicien et architecte du son du monde…

RYUICHI SAKAMOTO MUSICIEN DE MILLE MONDES

Furyo 21 mars, Minamata et Le Dernier Empereur 22 mars, Hara-Kiri et The Revenant 27 mars, Tokyo Mélody et Opus 28 mars,  Coda et L’Innocence 29 mars.

Maison de la Culture du Japon à Paris