HERNAN RIVERA LETELIER – « L’AUTODIDACTE, LE BOXEUR ET LA REINE DU PRINTEMPS »

S’approchant de la date fatidique qui depuis 50 ans hante l’histoire des chiliens – le 11 septembre 1993, le coup d’état militaire qui mit fin au gouvernement socialiste de Salvador Allende -, les témoignages terrifiants de cette époque inondent les librairies du pays austral. Tandis que des auteurs célèbres – Neruda, Sepulveda, Isabel Allende, Bolaño – voient leurs ouvrages réédités en plus de quarante langues aux quatre points cardinaux de la planète. Parmi les nouveautés littéraires, au charme narratif indiscutable, l’édition française du dernier roman de l’un des plus singuliers écrivains chiliens contemporains.

PAR FRANCISCO CRUZ

 DEVOIRS DE MEMOIRE

En septembre le printemps s’installe dans l’hémisphère sud. Les champs commencent à fleurir, partout la végétation retrouve sa vitalité, même dans le désert d’Atacama, éternel anti-jardin où la sécheresse règne. Dans cet espace aride, sous le ciel le plus limpide de la terre, l’existence humaine a depuis longtemps accordée sa pulsation au rythme de l’exploitation des mines d’argent, de salpêtre, de cuivre…

C’est dans ce paysage lunaire qu’Hernan Rivera Letelier fut mineur pendant des nombreuses années. Emigré du centre du pays, autodidacte comme l’un des personnages principaux de ce roman, il apprit à lire et à écrire à l’âge adulte. Pour se convertir ensuite en l’un des plus brillants écrivains de sa génération. Plus encore, en l’un des très rares auteurs à bénéficier de l’admiration du regretté Luis Sepulveda, qui n’était pourtant pas tendre avec ses homologues chiliens.

Ancrée dans un cadre social modeste, qui peut paraître misérable depuis la ville et encore davantage depuis les sociétés industrielles, la vie des personnages traverse des moments de bonheur, de joie, d’émotion et d’amour. Il serait plus facile d’écrire sur les peines et les douleurs engendrées par l’injustice sociale mais – et c’est l’une des plus belle tonalités de cette écriture -, Rivera Letelier donne chair à des personnages haut en couleur qui résistent à leur condition d’opprimés et luttent spontanément pour une vie soupçonnée meilleure. Point de misérabilisme ou de victimisation. Encore moins de rhétorique salvatrice ou d’idéologie rédemptrice.

Ici, la reine du printemps est une jeune femme belle et coquette qui succombe facilement à l’adulation.

Le boxeur est un homme simple et machiste comme la majorité de ses concitoyens.

L’autodidacte, un poète romantique et assez timide auprès de la gente féminine, qui aime et souffre comme il respire… Avec, comme un soupçon d’autoportrait  glissé avec malice par l’auteur.

Les deux hommes de cette histoire, que tout oppose, se lient d’amitié, mais désirent la même femme, qui devient reine d’un jour et s’offre à…  Et le drame arrive. « Les Histoires D’Amour… » des Rita Mitsouko pourrait servir de bande son à cette histoire.

Cadre de ces aventures, le désert fut la scène de premières luttes sociales au début du XXè siècle et de la violente répression militaire qui s’ensuivit (des milliers d’hommes, femmes et enfants tombés sous les balles des soldats). Quarante ans plus tard, il serait une prison à ciel ouvert pour les militants de gauche. Puis, encore trente ans plus loin, il serait le lieu de la disparition de corps humains, détruits à la dynamite, dont les fragments retrouvés serviront à reconstituer les derniers pas d’une poignée de disparus parmi des milliers durant la dictature militaire installée sous les auspices du gouvernement étasunien en 1973. Mais ceci fera l’objet d’autres histoires, d’autres chansons…

Laissons-nous juste bercer par l’ondulation des hanches de la reine, le rythme de la poésie du mineur autodidacte, les frappes du boxeur, au bord du K.O. L’écriture est vivace et la lecture véloce. Sans temps morts.

HERNAN RIVERA LETELIER

L’Autodidacte, Le Boxeur Et La Reine Du Printemps

Editions Métailié, 112 pages, 16€50