Si José James a su joliment rendre hommage à Erykah Badu, Meshell Ndegeocello a enchanté JALV, fidèle à son exigence artistique, résistante, apaisée. Récit d’une très belle soirée…
PAR ROMAIN GROSMAN
HALO
Il faudrait que les deux parties de notre cerveau se fichent la paix parfois : celle d’où resurgissent les souvenirs des concerts d’Erykah Badu, à Paris, au Nice Jazz Festival, au North Sea Jazz Festival et ailleurs, où la précheresse de la néo soul nous avait enchantés, conquis, séduits, par sa singularité, son autorité, ravivant dans son temps l’adn de ses devancières de la soul et du jazz, avec son propre background hip hop. Et des concerts tonitruants d’audace, infiniment positifs, où « La » Badu entrainait dans son sillage toute une génération régénérée par cette nouvelle héroine, belle, fière, porte-voix (notamment) de jeunes femmes captivées et renforcées dans leur émancipation par son courage esthétique, sociétal, personnel.
Du coup, en cette douce soirée de septembre à la Philharmonie, comble, l’autre partie de notre cerveau, plus détachée, tente d’écouter José James sans (trop) se laisser influencer par la redoutable concurrence des sentiments, des souvenirs, de la séduction aussi…
Le chanteur, en quintet, attaque par « On And On », suivront « Bag Lady » et d’autres titres de la diva réinterprétés avec élégance par le chanteur, humble et à l’évidence bercé par ces airs dans son adolescence. Comme souvent avec José James, la voix, le choix des arrangements, sages, mais soyeux, lovent l’auditoire dans un continuum agréable, intelligent.
Quand Meshell, qui suit au programme de cette nuitée sous le signe des talents rares et différents, rejoint la scène au milieu de ses musiciens, c’est toujours avec cette sorte de retenue, de timidité qui étaient siennes il y a trente ans de cela (et oui trente ans, 1993 et la déflagration émotionnelle liée à la découverte de son premier enregistrement Plantation Lullabies). Son style est toujours flamboyant, riche, sophistiqué. Mais épurés, en mode low key, ses thèmes, anciens et récents, compositions originales et reprises, portent la marque de son écriture qui charrie soul, jazz, pop américaine, et encore un peu plus avec le temps, folk et blues.
Assise, un bonnet vissé sur la tête, Meshell laisse (trop ?) souvent la place à ses partenaires. A la basse comme au chant. Cela n’altère en rien ce qui est en jeu ici et qui se diffuse au fil des morceaux, du « Waterfall » de TLC, au « Nite And Day » d’Al Be Sure, en passant par le « I Want You » de Marvin Gaye (écrit par Leon Ware), ou le « Atomic Dog » de George Clinton et sa bande : une mémoire de la Great Black Music dans toutes ses dimensions, toutes ses formes (chercheuses ou grand public), sans exclusion, une certaine exigence artistique, un cap à suivre, le sien, empreint de pudeur, d’ondes positives, d’une soif de paix, d’amour, projetées dans ce maelstrom planétaire rude et violent.
On en sort collectivement remués, touchés, et – c’est aussi rare -, émus (on écoute les conversations des proches, des spectateurs qui descendent les marches lentement en sortant sous la pleine lune, comme pour être surs d’avoir vécu la même chose).
Il faut beaucoup de courage, de constance et de sincérité pour offrir un tel concert, trois décennies après des débuts prometteurs, mais où la jeune femme d’alors, pétrifiée par le monde en face, semblait hésiter à vouloir se frotter au réel, aux autres. Aujourd’hui, les autres lui sont reconnaissants de (nous) offrir, encore et encore, le meilleur d’elle-même…