JAZZ A LA VILLETTE 2022

Avec la volonté d’inviter voire de provoquer des concerts événements, Jazz à La Villette a su prendre des risques payants. Avec des découvertes et un vent de renouveau bienvenu dans un océan de conformisme festivalier…

PAR CHRISTOPHE JUAN ET ROMAIN GROSMAN

FUNKY FRESH

Avouons-le, c’était aussi notre inclinaison initiale : choisir, au sortir d’un été programmatique convenu, les quelques rendez-vous qui détonnent. Avec le risque de la déception, mais au moins, le piment de la surprise. 

Ca commençait par une double affiche plutôt alléchante. La prestation de Tank And The Bangas, formation de La Nouvelle-Orleans – desservie par une sonorisation confuse et assommante) -, décevante, nous éloignait singulièrement de ce que l’on est en droit d’attendre lorsque sont convoqués « l’histoire et le patrimoine de la Crescent City »… En guise de sons chaloupés et du gombo local – blues, soul, jazz, funk -, même revisité avec une pointe de hip-hop, nous eûmes droit à un set assourdissant, de rock et de fusion pas vraiment joyeux.

Un reproche que l’on ne peut faire aux cubains de Cimafunk. Le groupe large, hétéroclite, avec ses percussionnistes, ses cuivres-choristes incarnées par deux jeunes femmes qui concourent à donner au groupe sa dimension spectaculaire en live aux côtés du leader Erick Iglesias Rodriguez, frotte les rythmes afro-cubains au funk de ses héros américains. Sans prétention, si ce n’est celle d’allumer la mèche d’une « House Party » à laquelle était conviée Fred Wesley en personne… Comme lors de leur rencontre avec George Clinton, les membres de Cimafunk célèbrent le groove avec dévotion, laissent le trombone légendaire des JB’s et du P-Funk prendre les commandes pour quatre thèmes emblématiques des seventies, sans tomber dans l’hommage rétro. L’ambition de Cimafunk est au partage, à la communion. Même si le niveau musical est loin d’être stupéfiant – surtout lorsqu’on sait l’excellence de la formation cubaine -, l’essentiel est ailleurs. Dans le pont jeté entre deux mondes qui se sont ignorés par la force des événements. Dans l’envie, aboutie, de provoquer une forme de lâcher-prise collectif, d’invitation à la danse, à la fiesta collective. La Grande Halle n’attendait que ça pour se laisser chavirer en douceur…

Autre soirée sous le signe de la recherche de la bonne vibration : la double affiche DOMI & JD Beck estampillé ApeShit le label d’Anderson .Paak et Blue Note, puis The Fearless Flyers. 

Le très jeune duo DOMI, (c’est elle, claviériste française de 20 ans, passée par le Berklee College of Music de Boston) – JD Beck (c’est lui, encore plus jeune batteur américain de 18 ans) transmet son enthousiasme d’abord par son approche de tourneries post fusion qui invoquent de loin en loin Weather Report, avec une reprise du « Endangered Species » de Wayne Shorter, George Duke, mais aussi Madlib avec un magnifique medley de l’album Madvillain. Avec une énergie qui diffuse très vite ses effets dans un public jeune, comme un miroir tendu sur des ambitions généreuses, totalement assumées, avec un investissement et un allant d’autant plus touchants qu’il s’accompagnent d’un naturel et d’un humour immédiatement partagés.

Une dimension que l’on retrouve dans le quatuor de cracks réunis au sein de The Fearless Flyers. Les fans de Snarky Puppy avec l’incroyable Mark Lettieri et sa guitare/basse, du génial batteur Nate Smith, du plus funky des guitaristes, Cory Wong ou encore plus nombreux, ceux de Vulfpeck et du bassiste Joe Dart, sont au rendez-vous. 

Cory Wrong (guitare), Mark Lettieri (guitare), Joe Dart (basse) font leur apparition dans des tenues façon bleu de travail ou (c’est selon) combis de garagistes, lunettes de soleil et sourire aux lèvres. Leurs guitares suspendues et fixées sur des pieds ajoutent à la fabrique d’une mise en scène habile, pleine de second degré. Le trio est flanqué sur sa gauche du batteur Nate Smith et son kit minimaliste. Passé le côté cool des postures, le groupe déclenche les hostilités avec une proposition musicale aussi explosive que le laisse présager sa composition. Porté par le jeu « in the pocket » du fantastique Nate Smith, le trio dynamite chaque thème à coup de riffs et de séquences tonitruantes, collectives ou en solo.

Avec le groove pour dénominateur commun, The Fearless Flyers délivrent une heure trente de funk (mais aussi de rock, de blues, de country), sur des thèmes courts, mais percutants, traversés de citations ou d’emprunts de Sly Stone, de Steely Dan, de Stevie Wonder, de Kool And The Gang mais aussi de Tears For Fears. La salle est subjuguée par la maestria des musiciens au service d’une démarche collective réglée au millimètre. Les intermèdes en solitaires laissés à chacun des quatre mousquetaires offrent autant de respirations jamais démonstratives. Pas d’egotrip, juste un peu d’air avant de repartir en apnée dans des cavalcades de groove, comme autant de shoots de bonnes vibrations ! Le concert de cette rentrée.