NESRINE BELMOKH

DES CORDES ET DES VOIX

PAR FRANCISCO CRUZ   PHOTO NEREA COLL

La violoncelliste Nesrine Belmokh fut l’une des plus surprenantes apparitions de l’automne 2019. Puis, son premier album, Nes, l’une des rares consolations musicales pendant les plus sinistres moments d’une année 2020 particulièrement dangereuse pour les libertés. 2021 marque le début d’une espérance avec Nesrine, un nouveau disque consacré à la voix, sorte d’autoportrait dans une ambiance délétère…

Si Nesrine Belmokh chante des balades amoureuses (« My Perfect Man ») sur son nouvel album, sa carrière internationale n’a pas débuté dans la chanson, ni dans les clubs de jazz (elle est publiée par un prestigieux label de jazz, ndlr), mais derrière des pupitres d’orchestres symphoniques. Et ni à Paris, ni à New York, mais du côté de Valence, en Espagne. Elle avait alors vingt-cinq ans…

ORIGINES CLASSIQUES – DE MAAZEL A BARENBOIM

« Quand j’ai fini mes études (Marseille – Lyon – Génève), je me suis rendue à Valence pour retrouver l’orchestre que Lorin Maazel venait de créer à l’Opéra. Il y avait soixante-quinze candidats pour une seule place… J’ai passé l’audition et été engagée. J’y ai joué pendant huit ans, fait une saison avec le Cirque du Soleil, puis j’ai ressenti le besoin de réaliser mes projets personnels. A Valence, j’ai retrouvé les musiciens de mon premier album et, même si on est un peu isolés par rapport aux centres de diffusion, je continue d’y habiter. »

Après l’orchestre dirigé par Maazel, vous avez été impliquée dans une résidence de l’orchestre de Daniel Barenboim, à Séville.

« En Berenboim, j’ai découvert une personnalité fascinante, dotée d’une énergie et d’un dynamisme incroyables, capable de se dédoubler dans la réalisation de plusieurs projets parallèles. Travailler avec lui fut passionnant et très inspirant. »

Quelles sont vos passions ?

« La musique et les voyages… »

Aujourd’hui (confinés, muselés, censurés, interdits), il ne nous reste plus que les voyages intérieurs. Parvenez-vous à être heureuse dans ce contexte ?

« Je suis de nature heureuse… malgré tout. Je viens de publier mon deuxième album… »

Vous ressentez une certaine culpabilité ?

« Non, non, pas du tout. Je ne suis pas culturellement coupable. La culpabilité est le patrimoine d’autres peuples. En arabe, pour les choses désagréables ou fâcheuses, on dit que dieu s’en occupe… On déculpabilise très facilement.
Parfois, on me demande si je me sens plus française qu’algérienne. Je ne réponds pas. Je suis née ici, dans le nord de la France, je connais parfaitement la culture française, et la culpabilité chrétienne enracinée en elle. Je ne suis pas coupable, je me sens une personne libre. »

ENTRE RIMITI, CAN ET ANDERSON PAAK

Femme libre, vous avez réalisé vos objectifs artistiques, mais aussi refusé d’autres propositions ?

« Oui, j’ai refusé l’invitation de participer à l’émission « The Voice », par exemple. Vous m’imaginez dedans ? J’aurais été « grillée » avant même de présenter mes albums ! J’avais envie d’ouvrir les portes d’un milieu où l’on t’accepte par la qualité de ta musique, par pour d’autres raisons.
Dans un autre registre, le Cirque du Soleil m’a proposé un job fixe à Las Vegas. J’ai dit non, merci. »

Le Cirque du Soleil, dont les spectacles font rêver…

« Oui, travailler avec cette troupe, c’était aussi comme un rêve éveillé. J’avais un rôle de lien et j’étais presque tout le temps sur scène… »

Les parents de Nesrine Belmokh, maghrébins, émigrés au nord de la France, étaient médecins et mélomanes. Des musiciens arabes et persans visitaient leur maison et Nasrine enfant a commencée par jouer de la mandoline et chanter de la musique arabo-andalouse, dont la référence ultime était l’Orquesta Andalusi de Tanger.

Votre mère est pédiatre et participe à vos albums. Pas pour s’occuper de ses propres enfants !

« Mais si, pour s’occuper de moi (rires) ! Je voulais chanter en arabe classique et ma mère a une grande culture littéraire et poétique. Un jour je lui ai demandé d’écrire des poèmes pour les chanter. Et voilà ! »

Pour Nesrine, Leïla Guinoun a écrit « Mumkin » (« Peut-Etre »), « Rissala » (« Lettre ») et « Rimiti », en hommage à la reine du rai aujourd’hui disparue. La totalité des musiques jouées par Nesrine Belmokh est originale à une exception près : le morceau « Vitamin C » du groupe Can (dont elle n’a pas pu chanter les paroles, pour des raisons contractuelles).

Vous ne chantez pas les autres, mais vous les écoutez ; qui, en ce moment ?

« Erykah Badu, Laureen Hill, D’Angelo, Maxwell, Bilal… Je suis complètement fan de nu soul. Dernièrement, j’ai beaucoup écouté Anderson Paak… et j’ai adoré le dernier spectacle de David Byrne. Tout en digital, sans le moindre câble sur scène. »

Des concerts en solo, violoncelle et voix, avez-vous réalisée des performances de ce genre ?

« Non, pas encore, j’y pense mais c’est un défi difficile à assumer. Pourtant, j’adore voir des filles seules sur scène : Silvia Pérez Cruz, Lianne La Havas… avec juste une guitare. Mais avec un violoncelle, c’est doublement difficile, car à la différence du piano ou de la guitare, il n’offre pas d’amplitude harmonique. »

Alors, pourquoi avoir choisi le violoncelle (après la mandoline) ?

« A dix ans, c’était l’instrument qui m’impressionnait le plus. Ce fut une évidence, comme tous les choix que j’ai fait dans ma vie. Mais, je viens de reprendre la mandoline, électrique désormais. Je joue du Bach… »

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