DOMINIC SONIC – « COLD TEARS »

L’occasion de la réédition augmentée du premier album en solo de Dominic Sonic fait le larron d’une évocation vaguement désenchantée, d’un parcours déchirant et déchiré, vibratile et extrême.

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

Le 23 juillet 2020 n’a surpris personne, tant il semblait peu vraisemblable de croiser Dominic Garreau – Sonic à la scène –, en vieillard chenu, ou sage supposé d’une scène rock hexagonale désormais atone. Des Côtes d’Armor à Paris, où il sera emporté par un cancer à l’âge de 55 ans, il a brillé le temps de six albums dans les nuits froides et humides de sombres errances. Ce qui mérite amplement un coup d’œil dans le rétroviseur.
Au début fut Dinan puis Rennes, capitale d’un rock hexagonal qui pense tout autant qu’il s’agite, dans la mouvance de Marquis de Sade. Au début de Dominic Sonic fut Kalashnikov six années durant, groupe punk breton de la deuxième génération, extrême (excès et violence en pain quotidien) comme on peut l’être, à la fin d’années soixante-dix tournées vers le Londres des Sex Pistols. Au début de la carrière du chanteur, qui prend son envol d’indépendance à partir de 1986, il y a Cold Tears. Sur scène, celui qui se veut un peu dandy, un peu décalé, et très innervé par les soubresauts électriques du Cbgb’s de New York, s’invente un personnage analogique, tout en fierté hexagonale, et reprend avec brio le « Blank Generation » de Richard Hell and the Voidoids, ou un « Fun House » pourtant magnifié, et, donc, a priori intouchable, par Iggy Pop & the Stooges, auxquels il va jusqu’à se rallier, afin de suppléer l’absence du chanteur, lors d’une prestation aux Transmusicales de Rennes en 2002.

Et au début de Cold Tears (« When My Tears Run Cold »), on ne peut que rappeler que l’album, enregistré en douze jours à Bruxelles (quant à elle alors capitale du rock européen), a été produit par Gilles Martin en sorcier maison, et accueille les copains de lycée (Tonio Marinesco, batteur de Kalashnikov, peintre sur le tard, et disparu en 2016), les amis (Pierre Corneau, de Marc Seberg, ou le guitariste Vincent Sizorn), ou les compagnons d’échappée esthétique (Bénédicte Villain, en congés de Passion Fodder). Tout au long des douze chansons, Dominic Sonic y a la beauté du diable, et la maîtrise de l’énergie (rarement les guitares ont sonné avec tant de pertinence dans un disque de rock de par ici), ou de l’acoustique, suivant les atmosphères à développer. Dans cette alternance de français et d’anglais, à laquelle n’échappe pas le rock de l’époque, les chansons se percutent comme des boules de flipper (« La Loi Des Pauvres Gens », brinquebalant comme un jouet cassé), s’échouant parfois sur les rives de reprises trop connotées (« Cocksucker Blues », jailli des lèvres lippues de Mick Jagger). Avec Cold Tears, Dominic Sonic entre dans l’Histoire. La troublante alternance de rock extrême, de chanson réaliste, de psychédélisme ou d’élégance britannique, séduira le public, et l’album atteindra de jolis chiffres de vente (40000 exemplaires), imposant, et le personnage, et l’artiste. Le chanteur élabore ainsi sa propre légende, de premières parties de Noir Désir en mythologie limitrophe de celle de Lou Reed. Mais l’embellie est de courte durée, et la suite, malheureusement (déceptions, errances, désaffection de labels…), fredonne un air connu et convenu, pour tous ceux qui sont bercés de rêves électriques plein les yeux. Dominic Sonic s’essaie alors au théâtre au côté de Jackie Berroyer, à l’écriture de ses mémoires, ou retrouve les Nus sur scène. Jusque dans le projet d’un album désormais posthume, il laisse, comme en témoignent ses compagnons de la dernière heure (Didier Wampas, Laetitia Sheriff, Daniel Paboeuf) le souvenir d’un créateur jamais au point mort en quarante années de carrière.

La réédition de Cold Tears inclut les douze chansons originales, ainsi que cinq titres bonus : trois morceaux captés en concert (dont le fameux « No Fun » des Stooges), ainsi qu’une alternate take et un inédit.

DOMINIC SONIC
Cold Tears
(Crammed Discs)