DINO SALUZZI – « ALBORES »

PREMONITION D’UNE ERE NOUVELLE

PAR FRANCISCO CRUZ

Le bandonéoniste argentin, compose encore dans sa résidence de Buenos Aires. Là-bas, juste avant la terreur virale, il avait terminé d’enregistrer son ultime album, Albores, recueil solitaire, introspectif et méditatif, qui évoque son long pèlerinage à travers les sentiers de la musique instrumentale. Albores se révèle comme l’expression musicale la plus fidèle à l’existence même du musicien, la synthèse sonore de sa personnalité dans toute sa plénitude…

Verra-t-on un jour le maestro Dino Saluzzi, arpenter de nouveau les plus belles salles de concerts en Europe, pour nous offrir la beauté du chant de son bandoneon ? Difficile de risquer une réponse aujourd’hui. Une seule certitude : le natif de Campo Santo (au nord de l’Argentine) compose encore dans son antre de Buenos Aires, mégapole sud-américaine qui sombre aussi sous l’emprise du confinement mondial. Albores évoque son long pèlerinage à travers les sentiers de la musique instrumentale, écrite ou improvisée, jazzistique ou concertante.

Pour ses débuts sur ECM, Dino Saluzzi était venu enregistrer avec Enrico Rava (qui auparavant avait été l’invité de Carla Bley), puis il revint en solo, avec son groupe argentin (ses trois frères, son fils et un neveu), en compagnie du quatuor de chambre Rosamunde et, ces dernières années, en duo avec la violoncelliste Anja Lechner. Son premier album solo fut Kultrum (1982), mais Andina restait son album solitaire incontournable. Désormais, Albores reflète l’existence même du musicien, la synthèse sonore de son être vivant aujourd’hui, dans sa plénitude vibratoire.

Artiste essentiel pour la musique latino-américaine contemporaine, comme Astor Piazzolla ou Egberto Gismonti, mais d’une humilité déconcertante, Dino Saluzzi ne s’attribuera jamais la moindre importance musicale. La reconnaissance internationale n’a jamais perturbé son ego. Dans Albores (« Aubes »), il rend hommage au compositeur géorgien Giya Kancheli (décédé l’an dernier) et à son père Cayetano (multi-instrumentiste reconnu dans l’Argentine rurale), et évoque des souvenirs du Buenos Aires d’avant la révolution du Nuevo Tango de Piazzolla. Comme lui, Saluzzi est (aussi) un créateur qui libéra la musique de son rôle social initial (la danse). Son expression contemplative est une immersion profonde dans la culture ancestrale et une projection vers une vie plus riche spirituellement. Sa composition « Ofrendas » sonne ainsi comme un remerciement éternel à tous ceux qui ont écouté et partagé sa musique, et comme l’intuition d’une nouvelle renaissance.

DINO SALUZZI
Albores
(ECM/Universal)