LA MÉMOIRE ET L’AMER
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
Le 27 août 1965, l’architecte Charles-Edouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, décède en Méditerranée, emporté par une crise cardiaque. La designer et architecte Eileen Gray, parfois en opposition frontale avec le premier, n’avait pas attendu pour disparaître dans les poubelles de l’Histoire, broyée par la mémoire masculine…
Cette bd franco-belge envisage avec force mais mélancolie, la réhabilitation d’une Irlandaise qui, compagne de l’architecte et critique Jean Badovici et amante de la chanteuse Damia, passera dès la fin des années 20 du statut de talentueuse designer (passée maîtresse dans l’art de la laque) à celui d’architecte de l’humain, et, donc, de la sensualité. Elle refuse alors la praticité de Le Corbusier, considérant en particulier que l’aménagement intérieur d’une maison doit rester de l’ordre de l’initiative personnelle. Une démarche qui trouvera son épanouissement dans l’élaboration des plans et la conception des meubles, sur la Côte d’Azur, de la villa E-1027. Le Corbusier tentera de reprendre la main (et le devant de la scène) par des fresques agrémentant la villa, mais jugées mal venues par la jeune femme. Par la suite, la star de l’architecture mondiale laissera planer le doute sur le fait qu’il était, peut-être, le vrai créateur de l’immeuble. Eileen Gray tentera de se dissoudre dans le temps qui passe, en détruisant peu ou prou l’ensemble de ses archives. Mais elle retrouvera sa légitime place dans le concert international, grâce à quelques amis et universitaires, quelques années avant sa mort, à l’âge de 98 ans, en 1976. Cet album conte donc, en un graphisme tout en douceur, le parcours d’une femme créatrice, puis réhabilité, puis rendue à sa postérité.
ZOSIA DZIERZAWSKA & CHARLOTTE MALTERRE-BARTHES
Eileen Gray, Une Maison Sous Le Soleil
Editions Dargaud, 152 pages, 19,90 euros