LE PIANISTE ET LE SAUVEUR
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
Retour sur l’amitié déchirée entre Bud Powell et son fan éperdu Francis Paudras.
Ce furent les images en clair-obscur d’Autour De Minuit, film de Bertrand Tavernier (deux César et un Oscar, en 1987). Mais c’est bien le livre inspirateur, La Danse Des Infidèles (d’après une composition de Bud Powell) qui évoque pour la première fois l’année précédente le tumulte relationnel entre le jazzman et Francis Paudras, dessinateur et designer parisien à son compte, vivant chichement de son métier, mais ressuscitant chaque soir grâce aux concerts de jazz, et en particulier au génie du New-Yorkais. Lorsque Bud Powell s’installe en France en 1958, il n’est pas le premier musicien afro-américain à porter son dévolu sur un pays où son art semble mieux considéré, et le racisme moins prégnant qu’aux États-Unis. Dès 1962, Paudras se lie d’amitié avec lui, puis, aidé par le saxophoniste Johnny Griffin, prend en charge un traitement curatif de la tuberculose, l’héberge, ainsi que sa famille, et lui tient la main lors de son retour vers la mère patrie. Entre roman et monographie (incluant témoignages et articles de presse), la nouvelle édition de ce livre, chronique d’un désastre et d’une navrance annoncés, rend compte d’une épopée se transformant en errance, de par la volonté destructrice de son principal acteur. Les mots sont implacables, violents et crus, mais ne pèsent guère devant l’émerveillement d’enfant décrit dans l’une des scènes du livre : Francis Paudras, lui-même pianiste amateur, s’échine en répétition sur le clavier. Soudain, il se paralyse, émerveillé, car il sent une présence à ses côtés sur le tabouret. Radieux, mystérieux, et charmeur : il s’agit de Bud Powell.
FRANCIS PAUDRAS
La Danse des infidèles
Editions Le Mot et le reste, 528 pages,