Début des années 70, les festivals de Woodstock et de l’Ile de Wight retentissent encore dans toutes les jeunes oreilles et leurs harmoniques fleurissent aussi du côté de l’Amérique du Sud et, surtout, en Europe. Après les riffs explosifs de Jimi Hendrix et les rythmiques endiablées de Santana, Londres voit l’éclosion du « rock progressif », une musique aux fortes influences euro-classiques, mais aussi jazz et folk. Et la naissance d’un trio aussi exceptionnel qu’improbable : Emerson Lake & Palmer…
PAR FRANCISCO CRUZ
EL&P, AVANT, PENDANT, APRES
EL&P était le trio formé par le pianiste et claviériste Keith Emerson, le guitariste, bassiste et chanteur Greg Lake et le batteur Carl Palmer. Des musiciens transfuges d’autres groupes : Nice pour Emerson, King Crimson pour Lake et Atomic Rooster pour Palmer. Des groupes à la popularité dissemblable et qui, à l’aube des seventies, n’offraient plus à ces musiciens les perspectives artistiques qu’ils recherchaient pour le développement de leurs musiques. Ce ne fut donc pas une grosse surprise – à une époque bouillonnante où les formations changeaient assez souvent de membres -, lorsqu’un soir de 1970, Emerson et Lake décident d’initier une nouvelle aventure musicale, dans laquelle pourront s’exprimer une foultitude d’idées neuves. Ils mettront du temps pour trouver le bon batteur, mais aussi pour convaincre Palmer de les rejoindre.
Une fois ensemble, EL&P élaborent une musique inattendue dans la sphère rock anglaise, une musique nouvelle qu’eux mêmes situaient bien au-delà du rock. Tant par leurs influences classiques (Bartok, Janacek, Ginastera, Mussorgsky…) qu’en raison de leur passé de musiciens de jazz. Sans oublier qu’ils ont placé les claviers (orgues, piano, synthétiseurs…), au devant de la scène, chose inédite jusqu’à là pour une formation de rock. Leur concert de lancement marque les esprits du public et des critiques, par une grisante et spectaculaire version des « Tableaux D’Une Exposition », du compositeur russe Modeste Mussorgsky.
Pourtant, passé ces débuts ambitieux et prometteurs suivront de longues années moins créatives. Si les trois premiers albums (E L & P en 1970, Tarkus et Pictures At An Exhibition, en 1971) ont eu un impact certain, et même au-delà des prévisions des pontes de l’industrie discographique, les envies musicales et les tentations commerciales auront raison de l’harmonie nécessaire pour donner au trio l’énergie requise pour un long voyage collectif. Ainsi, sans jamais atteindre la hauteur et la profondeur de Led Zeppelin ou de Pink Floyd, Emerson Lake & Palmer vivra sa propre désintégration six ans après ses débuts. Keith Emerson intégrera Three, Greg Lake continuera à chanter avec diverses formations à géométrie variable et Carl Palmer fondera le prolifique groupe Asia.
L’auteur de cette rétrospective suit une logique chronologique calée sur la production discographique du trio Emerson Lake & Palmer – avec les albums studio, les très nombreux enregistrements live (des bandes gravées entre Santiago du Chili et Montreux) et des compilations nées dans les bureaux de divers labels. Y compris après leur éphémère réformation une décennie après leur rupture et jusqu’aux derniers albums individuels avant 2019.
Autre aspect important, et probablement le plus intéressant dans le travail de l’auteur : pour parler du trio EL&P, Dominique Dupuis retrace le portrait des groupes qui le précédèrent et de ceux que lui succédèrent dans la vie musicale des trois musiciens anglais.
Emerson Lake & Palmer, un nom qui restera présent dans les pages les plus nuancées de la musique rock, restitué à travers une écriture intelligente, une riche documentation et une abondante iconographie. Dans un format qui rappelle les LP qui marquèrent l’histoire du rock, et qui font de cette publication un très « beau livre ».
DOMINIQUE DUPUIS
Emerson Lake & Palmer
Editions du Layeur, 240 pages, 36 euros