CHRISTINE REDFERN & CARO CARON – QUI EST ANA MENDIETA ? / BENJAMIN CARLE & DAVID LOPEZ – SORTIE D’USINE / FRANCOIS DUPRAT- LES BONSHOMMES DE PLUIE –

ARMES ET LARMES

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

État des lieux, en trois étapes, de bandes dessinées ou roman graphique les pieds dans l’époque, du combat social au récit initiatique, en passant par le pamphlet en mode réhabilitation. Et conclusion unique : futur chômeur, artiste ou jeune fille en devenir, la vie n’est pas toujours facile.

« Au lieu de foutre le bordel, certains feraient mieux de chercher du travail ». Cette déclaration bien sentie d’un Président de la République en visite officielle en Corrèze en 2017, apostrophe les GM&S, ouvriers d’un équipementier automobile creusois, mis en liquidation puis partiellement repris, et laissant sur le carreau les dizaines d’ouvriers d’une région meurtrie par le chômage. L’histoire de ces hommes – désespérés au point de menacer de faire sauter le site avec des bonbonnes de gaz – est contée par un documentariste (Benjamin Carle), et un graphiste (David Lopez) maniant récit, cases et dessins comme Michael Moore sa caméra, dans un souci pédagogique, et la volonté d’une enquête minutieuse. Les faits sont incontestables, l’illustration fouillée et éloignée de tout académisme, et tous deux nourrissent un combat perdu d’avance, mais riche d’une émouvante fraternité.

Plus grande morte que vivante, Ana Mendieta, cubaine exilée aux États-Unis, figure de proue dans les années 70 d’un body art interrogeant sur les violences faites aux femmes, sur un mode de performance autobiographique, parfois dans la provocation ou l’expression d’une sexualité sans filtre, entre, le 8 septembre 1985, dans l’Histoire par la rubrique des faits divers. Dans des bruits de dispute impliquant son mari, elle s’écrase au pied d‘un immeuble new-yorkais de 34 étages. L’acquittement de l’époux ulcère féministes et activistes protestataires, ce dont rendent compte ici les autrices, toutes deux dessinatrices, mais également collectionneuses de fleurs en plastique ou experte du scalpel. L’album témoigne, en un trait épais et torturé et un agencement de périodique, de l’amnésie du public face à une catégorie toute de souffrance, et de détermination : les femmes.

« C’est le temps de l’amour, des copains, et de l’aventure ». Ces vers, empruntés à Françoise Hardy, résonnent particulièrement au cœur d’Héloïse, très jeune fille en vacances sur la Côte d’Opale, dans un camping que l’on pourrait croire surgi des années 70. Ici, la violence est feutrée, contenue dans le périmètre des découvertes adolescentes, et riche d’un univers sans affèterie, mais pas forcément enclin à faire des cadeaux. Le tout servi par les fraîches couleurs de l’auteur, et une technique d’une grande expressivité, qui permettent d’aller au-delà des traumas, déceptions, et autres frustrations. Le sage agencement des cases (nous sommes a priori dans le contexte de la littérature pour enfants, mais pas que) ne dissimule qu’à peine le tumulte des sentiments, et la découverte abrupte de la cruauté. Et il ne restera alors à Héloïse, sans doute descendante d’Ana Mendieta, et peut-être future travailleuse à la chaîne, qu’à apprendre que les spectres – les bonshommes de pluie du titre, ou, plus sombres encore, les « wouhareilloux » – sont souvent bien moins implacables que les vrais adultes.

BENJAMIN CARLE & DAVID LOPEZ
Sortie D’Usine
Éditions Steinkis, 128 pages, 18 euros

 

 

 

 

 

CHRISTINE REDFERN & CARO CARON
Qui Est Ana Mendieta ?
Éditions du Remue-Ménage, 72 pages, 12 euros

 

 

 

 

 

FRANCOIS DUPRAT
Les Bonshommes De Pluie
Les Éditions de La Gouttière, 64 pages, 13,70 euros