«LE JAZZ ? UN MOYEN, PAS UNE FIN »
PAR ROMAIN GROSMAN
Le jeune trompettiste de jazz, repéré il y a quelques années par Dee Dee Bridgewater lorsqu’il résidait en Chine, avance vers une expression plus urbaine et actuelle, forcément influencé par le contexte d’une Amérique à vif, au fil des prises de positions de son président incendiaire.
Quel sens donner au titre de votre album, Star People Nation ? Faut-il y voir une dimension politique ou philosophique ?
Les deux. « Star People » décrit les gens porteurs d’humanité, de générosité, de positivité, qui s’unissent en une nation, un collectif. C’est ce qu’il s’est passé sur ce disque, avec mes musiciens, mais c’est aussi une allusion à ce que je souhaite dans ces temps troubles : voir les personnes animées de belles ambitions se faire entendre.
Le titre est venu avec cet album, ou comme une réponse dans le climat politique américain…
Chaque fois que j’enregistre, je suis dans un mood créatif positif. La situation aux Etats-Unis est inquiétante, mais je ne suis pas en colère. Je préfère mettre mon énergie au service de solutions. En tant qu’artiste, la première chose que l’on peut faire, c’est créer. Ensuite, c’est un fait, le meilleur sur le plan artistique, est souvent né dans ce pays lorsque nous traversions des moments compliqués. Spécialement dans la communauté afro-américaine. Il faut croire que l’on va avoir plein de bons disques sous Donald Trump, davantage que sous Obama (rires) !
Star People Nation est aussi une réponse au nationalisme ambiant ?
Oui, mais pour moi, c’est un concept totalement obsolète et erroné, surtout dans ce pays où ceux qui se servent de la peur et du rejet des étrangers et des migrants sont des fils de migrants eux-mêmes. La femme, la mère du président sont des immigrés. Leurs grands-parents sont des immigrés.
Vous suivez l’actualité ? Les révélations de son ex-avocat au Congrès, par exemple ?
Oui, même en voyage, j’essaye de rester informé. Ses propos et ses affirmations en ont surpris quelques-uns, mais la plupart des gens savaient. Pour les mensonges, les manipulations, etc. Trump a juste porté ce système à un paroxysme. Finalement, j’en suis à me dire : « s’ils nous montrent tout ça, que sont-ils en train de nous dissimuler ? »
Vous croyez toujours en une sortie politique de cette situation ?
Oui, de nombreux nouveaux visages sont entrés au Congrès, des femmes, des jeunes talents issus des minorités qui régénèrent déjà le discours et l’action politique. Cela s’est fait très vite. Trump s’accroche au pouvoir pour échapper à de possibles condamnations et poursuites. Il a intérêt à rester, et c’est ce qui m’interpelle. Quel est son plan pour rester ?
Comment s’informer aujourd’hui, sans se faire manipuler ?
Je cherche un peu partout, je confronte les points de vue, les sources. Sinon, c’est un show permanent, totalement manipulateur, et de toutes parts. L’information est un enjeu crucial. Elle est là, omniprésente, à portée de clic, et du coup, ceux qui y ont intérêt noient les médias sous les fake news. Tous les citoyens n’ont pas les moyens, le temps, de chercher derrière les apparences.
Musicalement, Star People Nation mixe des éléments de jazz, de hip hop, de soul. Dans un processus naturel ?
Oui, je peux dire oui, maintenant. Avant, j’avais le sentiment d’assembler les pièces d’un puzzle fait de toutes mes influences. Cette fois, cela a été fluide, parce que je ne voulais plus penser, mais simplement être honnête. C’est pourquoi je produis cette session : pour ne pas partir avec l’idée que l’album allait sonner comme ceci ou comme cela. J’avais par exemple envie d’insérer des rythmes africains, j’ai fait les recherches par moi-même pour aboutir à ce résultat.
Votre génération se défait des étiquettes.
Je suis encore dans les bacs ou la catégorie jazz, j’aimerais être dans la catégorie « musique », tout simplement. Je ne peux changer les habitudes de consommation des gens, ni les outils marketing de ce système. J’ai grandi influencé par Gary Bartz, Donald Byrd, les frères Mizell (Larry et Fonce, grands producteurs de funk, ndla), Earth Wind & Fire… Verdine White est venu m’écouter à Los Angeles il y a quelques semaines. Larry Mizell aussi. On aurait dit Tony Stark (aka Iron Man, ndlr) sorti de son vaisseau spatial (rires).
« Understand Yourself », le dernier titre de votre album, avec The Chronixx, sonne d’ailleurs comme une balade planante du EW&F des débuts ?
Oui, c’est un peu l’inspiration. Et les autres guests, comme Rose Gold, que j’avais entendue avec Terrace Martin à L.A., incarnent la nouvelle génération. Pour moi, le sens de la tradition, celle du jazz notamment, ce n’est pas la re-création, mais se servir de son histoire pour raconter le monde d’aujourd’hui, now… Tout ce que j’ai appris dans le jazz, est un moyen, pas une fin.
THEO CROKER
Star People Nation
(Masterworks/Sony)
SORTIE LE 20 MAI
LE 27 JUILLET À CHAMONIX/COSMOS JAZZ