ÜBER ALLES
PAR CHRISTIAN LARREDE
L’histoire très politique et sociologique d’une famille aimante, dans l’Angleterre contemporaine, qui se heurte à la réalité cynique d’un univers où le capitalisme libéral sert de nouveau credo. Et à la fin, ce sont les pauvres qui perdent…
Newcastle, de nos jours : parce que son désir le plus cher est de devenir propriétaire, Ricky décide, après plusieurs petits boulots, d’acquérir une camionnette, et s’engage comme chauffeur-livreur indépendant auprès d’une plateforme chargée de la livraison à domicile d’objets commandés sur Internet. Son épouse, aide à domicile dévouée, le soutient avec amour, mais son fils, grapheur novice, multiplie les actes de petite délinquance, et leur fille, Lisa, grandit comme elle peut au sein d’une famille de plus en plus éclatée. Palme d’or au Festival de Cannes en 2016 (Moi, Daniel Blake), Ken Loach a construit sa réputation de cinéaste social grâce à des portraits de gens de peu, qui dressent un tableau tendre mais impitoyable des perdus de la croissance. Si sa technique héritée du documentaire rend ses œuvres prévisibles, et n’évite pas toujours un panorama très navré du caractère impitoyable de l’univers actuel, voire un certain didactisme, il parvient dans Sorry We Missed You (de l’expression laissé sur un coupon de visite par les livreurs face à une porte close) à expliciter que l’uberisation de la société ne génère pas uniquement une déflagration économique, mais affecte également les individus jusqu’au sein des familles. A 82 ans, le metteur-en-scène reste le plus fin connaisseur de travailleurs broyés par le néolibéralisme. On lui reproche depuis le début de sa carrière (Pas De Larmes Pour Joy, en 1967) de réaliser des films comme autant de brûlots et de tracts. Réjouissons-nous plutôt que Ken Loach soit là pour dénoncer, bouleverser, et condamner.
SORRY WE MISSED YOU
de Ken Loach