UN CAUCHEMAR ÉVEILLÉ
PAR LUNA CRUZ
« Faites un film qui illustre les difficultés à être un senior dans les États-Unis d’aujourd’hui ». C’est la consigne donnée au jeune Georges A. Romero pour réaliser cette commande de la Lutheran Service Society, une organisation religieuse de Pennsylvanie. Nous sommes en 1973 et le cinéaste a alors besoin d’argent, malgré ses débuts fracassants depuis le succès de La Nuit Des Morts Vivants.
Sauf que grâce au génie de Romero, The Amusement Park va bien au-delà du simple film institutionnel didactique. Extrêmement choquée par le résultat final, la société luthérienne refusera d’exploiter le long métrage. Le film devra attendre d’être redécouvert en 2018 par Daniel Kraus, écrivain et collaborateur de Guillermo del Toro, qui se charge de le restaurer en 4K et de le faire renaître avec l’aide de Suzanne Romero, veuve du cinéaste également en charge de la George Romero Fondation.
Choisissant le cadre du parc d’attraction, Georges A. Romero crée alors une scène de théâtre dans le théâtre. L’acteur qui incarne le personnage principal (Lincoln Maazel), nous présente et nous introduit dans le film ; il en sera de même pour la conclusion. Mise en scène un peu pompeuse en apparence, mais originale, le protagoniste se retrouve dans l’antichambre du film face à son double, exténué et exsangue, celui qu’il sera en sortant du parc d’attraction sans comprendre qu’il va vivre un véritable cauchemar éveillé (lui et le spectateur !).
Le parc est en effet rempli d’injonctions et de règles à l’encontre des personnes âgées qui doivent payer pour participer aux activités, quitte à troquer leurs bijoux et leurs biens, puis se voient chassées des attractions, des bancs, et même des tables de restaurant car trop fragiles, trop âgées ou simplement parce que leur présence dérange. Summum de cette violence : lorsque notre vieux héros se fait maltraiter par un groupe de motards.
Le cauchemar, bien qu’il ait lieu en extérieur, exacerbe le sentiment de claustrophobie et d’angoisse d’autant que ce véritable apartheid ne semble déranger personne. Alors que les luttes pour les droits civiques ne sont pas un souvenir très lointain, Georges A. Romero illustre brillamment (probablement un peu trop pour la commande demandée) l’exclusion de la population âgée dans nos sociétés modernes occidentales.
Alors oui, le constat est glaçant, peut être encore plus si l’on remarque le peu de différences avec la situation faite aux personnes âgées aujourd’hui (avant et surtout après le Covid) en Europe.
The Amusement Park
de GEORGE ROMERO
avec Lincoln Maazel, Harry Albacker, Phyllis Casterwiler
en salles actuellement