Il aurait bien voulu, et ce depuis longtemps, faire un (ou plusieurs) disques de chansons, mais Aubry le compositeur n’a jamais trouvé la voix qui lui convenait véritablement. Et comme ce fut le cas naguère, c’est lui qui harmonise sa voix au cœur de la musique. Et, comme autrefois, c’est la chorégraphe Carolyn Carlson qui lui offre des textes qui ressemblent à autant de haïkus dansants.
PAR FRANCISCO CRUZ
Mystère de la vie – autour duquel on pourrait trouver toutes sortes de réponses, psychologiques, spirituelles, réflexives ou intuitives -, les musiciens trouvent dans des moments douloureux ou sinistres, une énergie et une sensibilité créative très particulière. Privé de scène comme tant d’artistes durant ces temps d’abus autoritaires, probablement triste de voir que ses dernières productions musicales pour des films d’animation ne s’écoutent plus en format physique, Aubry déploie une intensité rare et un engagement renouvelé dans la constitution de son répertoire. Après un très riche parcours, la création de musiques destinées à l’accompagnement de l’art de danser (des adultes) ou à l’éveil des sens (des enfants), le musicien Aubry réalise ici une synthèse spontanée, une sorte de bilan provisoire qui, s’appuyant sur des moments (pièces, thèmes, motifs) clés de son répertoire, insinuent de nouvelles voies d’exploration pour un avenir proche.
Visiblement sensible aussi aux nouvelles sonorités entendues dans les écouteurs de ses jeunes enfants, il laisse circuler un air de fraicheur entre les plages, dessinant un programme qui suscite des émotions aléatoires entre la nostalgie et la folie, la sérénité et la joie, «Take Off» dans un «Crazy Country» (« décollage dans un pays devenu fou »). Aujourd’hui, I Sing My Song fait danser des petites filles et pleurer d’émotion les grandes.
Comme dans un mandala sonore, les «Mémoires d’un Arbre» sont au centre profond et fondateur de ce projet. Puis, en passant d’un méditatif «Strange Day» à un transitif «Day Off» et à un optimiste (?) «Another Day», René Aubry fait appel à sa mémoire affective et rend hommage à un «Good Guy», à son éditeur historique «Hopi Mesa». Il évoque aussi une résidence heureuse autrefois sous un «Blue Vénitien», où il aurait pu aussi chanter «I SIng My Song». Par ce temps de solitudes forcées, il ouvre la porte de l’amitié si nécessaire en invitant au «Triple Galop» le bassiste Marc Buronfosse et, dans l’espoir de dissiper le cauchemar, il se dit «It’s Allright»… Pour continuer à vivre, jouer, chanter par-delà le «Dreaming».
Au moment où les danseuses s’immobilisent, les acteurs se taisent, les marionnettes sont posées… René Aubry, dont depuis trente ans on répète qu’il « joue » des chansons sans paroles, incarne enfin sa propre chanson.
RENE AUBRY
I Sing My Song
(MusicBox/Wagram)