MEREDITH MONK – « THE RECORDINGS »

Artiste exceptionnelle (musicienne, danseuse, performer) parmi les plus singulières musiciennes accueillies par la maison munichoise ECM, Meredith Monk est une sorte de paradigme de la créatrice libre. Excentrique absolue – dans son éloignement du dogme de la « consommation culturelle », industrielle et commerciale -, sa démarche est iconoclaste, irréductible à toute école ou tendance esthétique. En douze étapes qui englobent 40 ans de propositions originales, voici un aperçu sonore de son « œuvre »…

PAR FRANCISCO CRUZ

ROUND ABOUT MEREDITH

Douze stations d’un long voyage, The Recordings s’étire sur 12 albums – dont un double CD -, entre Dolmen Music (1981) et On Behalf Of Nature (2015), réunissant des compositions de Meredith Monk créées entre 1971 et 2014. Pianiste et chanteuse, elle joue aussi des synthétiseurs et de l’orgue, de la shruti box et du pitch pipe. Mais c’est surtout dans le domaine vocal où elle excelle et atteint des moments de sublime inspiration, d’improvisation libre et lumineuse. Parmi ses proches musiciens on retrouve Colin Walcott (percussionniste original du groupe Oregon), le violoncelliste Robert Een, Steve Lockwood aux claviers, John Hollenbeck au vibraphone et au marimba, le flûtiste et clarinettiste Bohdan Hilash, les pianistes Theo Bleckmann, Nurit Tilles et Bruce Brubaker… Mais aussi plusieurs multi-instrumentistes et, surtout, une impressionnante communauté de vocalistes et d’ensembles vocaux à géométrie variable. 

Les douze albums-étapes des déambulations sonores de Meredith Monk sont : Dolmen Music, Turtle Dreams, Do You Be, Book Of Days, Facing North, ATLAS, Volcano Songs, Mercy, Impermanence, Songs Of Ascension, Piano Songs et On Behalf Of Nature. Aucun ne ressemble à un autre, certains privilégiant le langage instrumental, ou sont consacrés à un seul instrument, mais la plupart réserve une place primordiale à l’expression vocale. Comme elle l’explique – dans un magnifique livret de 300 pages -, « my big wish has always been to be creating and finding new things until I leave the planet…». Les mondes du multiverse monkien l’ont mise en contact avec le jazz et la musique contemporaine minimaliste, par l’improvisation et la répétition précise de motifs et de cycles, mais ses compositions échappent allègrement à toute définition ou catégorie de l’industrie musicale. A fortiori, elle préférera parler de folk humain, avec humour et subtilité. 

Le voyage sonore (qui est aussi visuel et chorégraphique) de Meredith Monk est une exploration sans fin de l’âme humaine, dans sa quête de sens de l’existence. Une archéologie du geste humain pour trouver la paix et l’harmonie dans un monde secoué par les forces de la nature et détruit par l’imbécilité et la volonté de pouvoir de certains. C’est ainsi que le « travail artistique » de Meredith Monk, sa contribution à l’art contemporain, dépassent largement le pur domaine esthétique pour naviguer en profondeur dans les espaces de la philosophie et de la spiritualité, de la sensorialité et des émotions les plus enfouies. Avec une certaine innocence assumée en toute conscience, Meredith Monk choisit de miser sur la beauté et la bonté humaines et, avec légèreté et tendresse, de se rapprocher du monde des enfants, pour inviter les adultes à ne jamais oublier la fantaisie et l’émerveillement provoqués par la découverte et les nouvelles rencontres. 

Expérimentatrice dévouée, Meredith Monk s’immerge dans les méandres émotionnels de la voix pré-conceptuelle, avant le langage structuré et signifiant. Dans ses aventures librement herméneutiques, elle se rapproche des cérémonies rituelles et des transes initiatiques, amérindiennes ou orientales, équatoriales ou polaires, mettant en relief la fragilité de l’existence, et de la vie au sens le plus profond. 

D’un album à l’autre, telle une shamane des temps présents, Meredith Monk nous rappelle que tout est en mouvement, tout est devenir ; ouvert aux transformations, aux mutations de l’être. Et dans ce processus éternel, la mort fait partie de la vie. Monk y joue sur la géométrie variable des interprètes réunis selon les plages, et sur leur qualité de poly-instrumentistes, en déployant la partition sur cette subtile zone esthétique, poétique et magique, où la musique commence à danser et la peinture se met à chanter.

« L’œuvre » de Meredith Monk réalise une forme d’archéologie des gestes primordiaux et des voix ancestrales, et fait d’elle une sorte d’avant-gardiste, dans un temps présent qui réunit passé et futur en un seul instant, éphémère et infini à la fois. Evidemment, ses musiques ne battent pas les scores de téléchargement, comme autrefois ses performances n’occupaient pas le prime time télévisuel. Meredith Monk n’a jamais touché le « grand public », mais, pour certains, elle reste une référence, une sorte de messagère de l’espoir permanent, dont les « songs » parlent à l’intime, activent leurs propres sources d’énergie et de lumière.

Les douze (et douces) bornes du voyage « monkien » sont autant de méditations dynamiques, pour se relier à la pulsation vitale, par le chant, le rythme, le mouvement, la contemplation.

En attendant la publication discographique de ses nouvelles compositions inédites à ce jour : « Backlight » (2015), « Migration » (2016), « Cellular Songs »(2017), « Dialogue » (2019), « Anthem » (2020), « Rotation » et « Indra’s Net » (2021).

MEREDITH MONK

The Recordings

(ECM/Universal)

Soutenez SON DU MONDE sur Tipeee