FULGURANCES
PAR ROMAIN GROSMAN
On se méfie souvent des fulgurances des génies précoces, en musique comme ailleurs. À seize ans, signé sur le label Verve, le pianiste Joey Alexander offre pourtant avec son nouvel album Warna une nouvelle preuve d’un talent immense.
Dans sa langue maternelle – natif de Bali, il est indonésien, résident américain, issu d’une famille javanaise, néerlandaise et juive allemande -, Warna signifie « couleur ». Musicalement, ce nouvel enregistrement de compositions originales (sauf trois reprises gracieuses du « Fragile » de Sting, respectueuse d’ « Inner Urge » de Joe Henderson, en suspension de « My Funny Valentine » en clôture) est d’une telle luxuriance rythmique et mélodique, qu’il affirme déjà les certitudes d’un style vif et foisonnant, mais profond, s’appuyant sur une palette de teintes vives, fauves, un trait foudroyant, une éloquence concrète, jamais superflue ou déconnectée d’un dessein maitrisé. En trio avec le bassiste Larry Grenadier et le batteur Kendrick Scott (rejoints sur certains thèmes par le percussionniste Luisito Quintero et la flûtiste Anne Drummond), le jeune prodige découvert par Wynton Marsalis confirme ce que ses premiers pas sur le label New Yorkais Motema (rendons justice à cette maison qui n’en est pas à sa première découverte, avant de se faire piquer ses talents par les majors…) laissait présager. Outre sa virtuosité, un son limpide, des fulgurances qui irradient au cœur de partitions construites, généreuses et volubiles, ce qui frappe ici, c’est la densité de son expression à un si jeune âge. « Je n’ai pas le souvenir d’un musicien aussi talentueux à ce stade de son évolution. J’aime tout dans son jeu : son sens du tempo, sa confiance, sa compréhension globale de la musique», expliquait le trompettiste et patron du Jazz At Lincoln Center. Warna est un petit bijou de jazz moderne, régénéré, optimiste.
JOEY ALEXANDER
Warna
(Verve/Universal)
JAZZ