UNE HISTOIRE RECOMMENCEE
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
Lorsque’un batteur, concepteur et compositeur chicagoan s’attache à un album crépusculaire, les poètes fracassés reviennent d’entre les morts.
En 2010, l’emblème américain d’une poésie comme un fusil, parrain naturel du rap, auteur d’historiques punchlines – la révolution ne sera pas télévisée – et voix majeure (cri) du jazz américain ou de tout ce que vous voulez d’autre, perdu dans la dope et la paranoïa après des années de prison, est un homme usé, brisé. C’est alors que le producteur Richard Russell le convainc de rallier – pour la première fois depuis 16 ans – un studio et d’enregistrer We’re New Again, album de fin du monde, autobiographique, et choc esthétique. La poésie sans distanciation de Scott-Heron, son chant, sa voix et son piano, sans protection ni affèterie, revisitent un blues de John Lee Hooker, une partition de Robert Johnson, ou un standard de Bobby Blue Bland, dans l’environnement spatialiste de cymbales et percussions diverses, et les interventions du Harlem Gospel Choir, invité ici à taper dans ses mains ou à scander des mantras comme autant de suppliques. Remixé l’année suivante (Scott-Heron est mort le 27 mai de cette année-là) par JamieXX, We’re New Again connait donc aujourd’hui, à la demande du producteur originel, et en célébration du dixième anniversaire de la sortie du disque, une nouvelle lecture grâce au travail d’un spécialiste, né à Paris, de la synthèse rock-jazz-soul, et des rythmes planétaires. Ainsi, McCraven fait appel à de nouveaux musiciens (dont le guitariste Jeff Parker), percute les univers (avec l’intrusion de quelques mesures du « Peaches in Regalia » de Frank Zappa dans « Me And The Devil »), et s’attache à sublimer la voix. Un sommet de puissance, de rigueur de l’asphalte de re-imagination et de création pure. Et de douleur.
GIL SCOTT-HERON
We’re New Again, A Reimagining By Makaya McCraven
(XL/Beggars)
SOUL JAZZ