La chanteuse albanaise, longtemps exilée en terre helvétique et désormais en résidence anglaise, présente son troisième album pour le label allemand ECM. Lent et soigné, fin et résilient, davantage œuvre d’art que produit industriel, comme une autre lumière après les épisodes sombres que nous avons vécus. Comme une invitation à la mémoire.…
PAR FRANCISCO CRUZ
AVANCER SANS OUBLIER
Par ce mois de septembre où l’on évoque la fin de l’espérance socialiste au Chili (1973), nous parlons avec la chanteuse albanaise de sa visite au pays sud-américain, lors de sa tournée latine d’avant la confabulation Covid : « J’’ai toujours été très touchée par l’histoire des pays d’Amérique latine, notamment le Chili. Le séjour là-bas a été très intense. J’y ai fait plusieurs concerts, dont un dans la périphérie de Santiago, dans un bidonville… On a joué free pendant une heure, et les gens (très pauvres) ont beaucoup aimé ; ils nous ont dit que c’était vraiment très important pour eux d’écouter autre chose que de la variété à la télé…».
Loin de la variété, Elina Duni l’a toujours été. Depuis sa découverte, il y a plus de vingt ans, sur un répertoire balkanique à donner le frisson et l’envie de voyager dans ces pays en reconstruction extirpés de dictatures et de guerres (le Kosovo, la Macédoine, l’Albanie…). Davantage depuis qu’elle fait partie des artistes invités du label munichois et, surtout, depuis qu’elle a décidé de mener des projets personnels en jouant et en chantant ses propres compositions. Depuis son album Partir (évocation de l’exil et référence directe à la massive migration syrienne), sa musique devient plus patiente, délicate, introspective, emplie de finesse.
Dans A Time To Remember, elle est en pleine consolidation d’un style. La lenteur et l’élégance de mise, la résilience dans l’esprit, en pleine conscience de l’enjeu inscrit dans cette période post-mensonge officielle et autoritaire. Depuis la solitude de Partir, la chanteuse revient à la formule quartette. Avec son complice Rob Luft à la guitare, Matthieu Michel à la trompette et la batteur (et pianiste) Fred Thomas. A Time To Remember ce sont douze thèmes – chantés en anglais, en français, en kosovar et en albanais. Cinq compositions personnelles, trois re-créations de thèmes traditionnels et quatre reprises, dont le «First Song» de Charlie Haden et Abbey Lincoln, vestige d’une époque libertaire. Un répertoire à la beauté indéniable
ELINA DUNI
A Time To Remember
(ECM/Universal)