SAX PAS APHONE
PAR CHRISTIAN LARRÈDE PHOTO ACCRA SHEPP
D’un art presque liturgique à un militantisme pour les droits civiques toujours présent, Archie Shepp a toujours incarné un musicien dans la ville, et un citoyen sur scène. A 84 ans, son combat se poursuit.
Enregistré, en duo avec le pianiste Jason Moran (ancien compagnon de route de David Murray ou Charles Lloyd), et en partie devant le public de la Philharmonie de Paris et du festival de Mannheim en 2017 et 2018 (à l’époque des concerts, et toutes ces sortes de choses), l’album emprunte son intitulé à un spiritual devenu en 1958 « Go Down Moses » dans la voix de Louis Armstrong. Et l’on se souviendra avec profit d’un enregistrement initial de Shepp en compagnie de la chanteuse Jeanne Lee (1969). Ce sont en effet deux chants liturgiques qui alimentent le programme, évoquant l’Afrique perdu, ou ce peuple d’esclaves noirs affrontant dans la violence et la souffrance le pouvoir blanc. Répondent également à l’appel des thèmes de Coltrane, Duke Ellington ou Thelonious Monk (« ‘Round Midnight »), mais aussi un hommage à Fats Waller, voulu par le jeune pianiste (46 ans), toujours désireux dans sa pratique de jeter des ponts entre free jazz et stride, pop et hip-hop. L’inspiration – grave et juvénile à la fois – du saxophoniste se marie en un discours unique à celle du clavier, et s’atténuent alors les différences d’âge, d’origine et de formation. La raucité souvent, le silence parfois, nourrissent cette musique des yeux (et du cœur) ouverts. Il est malheureux (via le mouvement Black Lives Matter) que la lutte d’Archie Shepp soit toujours d’actualité. Mais il est heureux que cet homme digne soit là pour nous le rappeler.
ARCHIE SHEPP & JASON MORAN
Let My People Go
(Archieball/L’Autre Distribution))
JAZZ