LE BON DIEU SANS CONCESSION
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
Dans le doux cocon bourgeois lyonnais, un curé viole, violente et abuse sexuellement des dizaines de scouts de bonne famille. Á l’âge adulte, un cadre bancaire, bon père et bon catholique, laisse remonter la douleur du tréfonds de sa mémoire d’enfant, et décide d’interpeller l’évêché de la ville.
Nul n’ignore désormais le sort réservé à Grâce à Dieu (Grand prix du jury à Berlin, et deux référés visant à obtenir un report de l’exploitation du film), ni la lumière qui y est jetée sur l’ensemble du clergé en général, et Philippe Barbarin en particulier (cardinal-archevêque à la triste figure, auteur de la terrible expression : « grâce à Dieu, ces faits sont prescrits »). Non seulement ces gens-là n’ignoraient rien des activités pédophiles du Père Preynat (il était allé jusqu’à alerter sa propre hiérarchie sur ses crimes), mais leurs réactions en aval (déni des responsabilités face à l’association La Parole libérée), démontrent qu’en la matière, le clergé est loin de son aggiornamento. Conçu comme un film-commando (tourné sous le nom de code d’Alexandre), Grâce à Dieu s’appuie pourtant sur une documentation particulièrement rigoureuse : la reconstitution de la rencontre d’une psychologue de l’Église, du prédateur et de l’une de ses victimes, se concluant par une prière à trois, glace proprement le sang. Riche de ce capital documentaire, Ozon – l’un des directeurs d’acteurs les plus performants du cinéma français contemporain – construit son œuvre comme un film à tiroirs, alternant les points de vue (le bourgeois intégré, incarné par Melvil Poupaud, le chirurgien méthodique sous les traits d’Éric Caravaca, Swann Arlaud en éternel adolescent fracassé, et la masse de Denis Ménochet, éléphant dans la sacristie, optant pour l’apostasie). Mais il convient de ne pas oublier que la morale de Grâce à Dieu tient en sa toute première scène : un prélat y écrase de la masse de sa croix la ville, et le monde. Le bras de fer se joue en groupe, et, à la fin, c’est l’Église catholique, apostolique, et romaine qui gagne.
GRÂCE À DIEU
de François Ozon