RUE DE LA JOIE
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
La Cicciolina a perdu de sa superbe, mais Brigitte Fontaine rien de son caractère déjanté. Quant à Catherine Lara, elle fait ce qu’elle peut. Á l’instar de Beyoncé ou Simone Weil, ces pseudonymes ont été choisis par celles qui fréquentent L’Envol, centre de jour pour femmes sdf. Lorsque l’annonce de la fermeture imminente de l’établissement, sur décision de la municipalité, se fait jour, les belligérantes démontrent que, quand la loi de la jungle prévaut, la légalité, le respect des procédures et le refus du pistonnage se réduisent à des épiphénomènes.
Adapté d’un documentaire et d’un livre de Claire Lajeunie, Les Invisiblescontent la précarité, la détresse et les dérives de ces femmes, sans niaiserie ni manichéisme. L’écueil du misérabilisme est évité avec élégance, et une énergie fortement roborative. Audrey Lamy (son meilleur rôle à ce jour) et Corinne Masiero, en assistante sociale et directrice de centre dont on n’occulte rien des problèmes intimes, une bénévole (Noémie Lvovsky, parfaite en bourgeoise légèrement frappadingue, et franchement trompée) et Déborah Lukumuena (hystérique à souhait, et désormais plus espoir féminin, mais actrice franchement affirmée) accompagnent un groupe d’ex sdf dont c’est pour la plupart le premier rôle. Le film nous montre ce que nous ne voyons plus (les pièces d’acier en ailerons de requins, interdisant aux gens de la rue de s’allonger devant les vitrines), et nous rappelle qu’il faut peu de chose (de la considération, du respect) pour que ces êtres humains recouvrent leur féminité, leur potentiel créatif, et leur dignité. On s’y amuse, sans se moquer, car le refus conclusif d’un monde de Bisounours est patent. Et l’on sort de la projection avec le sourire au cœur, et une conviction absolue : au boulot.
LES INVISIBLES
de Louis-Julien Petit