Emergeant des temps confinés, à l’occasion d’une première tournée estivale sans contraintes liberticides, la saxophoniste nous avait annoncé un intense travail de préparation en vue de l’enregistrement d’un nouvel album. Le temps de sortie restait indéterminé, pourtant le nom était déjà prévu ; c’est Le Temps Virtuose que nous écoutons désormais.…
PAR FRANCISCO CRUZ
LE TEMPS DE LA RECONNEXION
L’attente pouvait paraître longue, mais les écoutes réitérées confirment que la patience est récompensée. Le Temps Virtuose développe une nouvelle façon de travailler, une approche plus posée des arrangements, une économie maitrisée des ressources, voire une respiration différente dans l’exposition et la résolution des thèmes. Si l’ouverture progressive de la compositrice-saxophoniste-flûtiste vers des musiques moyen-orientales – évitant intelligemment de rentrer dans le cadre du jazz modal -, est une évidence dans le temps, le changement de formation est pour beaucoup dans l’enrichissement de sa musique, au tempo subtilement plus lent.
Elle s’explique: « Maintenant, plus que jamais, je pense qu’il est très important de ralentir, de prendre son temps, d’aller à l’essentiel. C’est ce que j’essaie de faire avec ma musique. Le temps virtuose, c’est le temps qui passe. C’est lui qui nous construit et nous détruit…»
Soudain, le tempo s’enivre et le temps s’accélère. La boucle sonore et temporelle revient du côté nord britannique, ou irlandais, au temps de danses médiévales qui perdurent dans la mémoire bretonne de nos jours. Dans ces séquences, Sophie Alour excelle à la flûte traversière, soutenue par le drive inspiré des tambours d’Anne Paceo.
Après l’avoir longuement côtoyéee (dernièrement au sein du collectif féminin réuni autour de Rhoda Scott), l’invitation faite à la batteuse Anne Paceo apparaît comme le meilleur choix que la leader pouvait envisager. La pulsation souple et légère(ment) tournée vers l’orient plus lointain de Paceo, son sens mélodique et leur proximité dans les idées, en résultent un soutien de première qualité pour l’architecture de l’album.
La présence du guitariste Pierre Perchaud, ses progressions harmoniques recherchées
et sans concession qui font paraitre son jeu aussi subtil que tranchant, est un autre élément important dans la construction de l’album. Enfin, l’heureuse apparition du violoncelle de Guillaume Latil fait oublier l’absence de voix soliste, tant la musique chante juste et sans excès, esquivant la tentation du texte et de la signification.
A la question (légitime à l’heure du bilan des festivals estivaux), les musiciens du jazz auront-ils oublié, depuis la terreur politico-sanitaire du Covid, la connexion de cette musique avec la liberté humaine ? La réponse de Sophie Alour est, hormis son nouvel album, aussi textuelle : « Dans ce disque je regarde la réalité en face…qui n’est pas toujours belle. Ça parle du temps, du temps humain, pas le temps des glaciers où on a voulu nous amener. Ce que nous avons subi nous a transformé sans doute. Il est certain que l’absence de réaction des gens du monde de la culture qui, privés de tout ne réagissaient pas, était glaçante. Et cette façon tellement docile de la majorité de gens d’accepter des mesures inacceptables, me pose toujours beaucoup de questions. Nous avons vu des mauvaises choses, mais aussi de belles actions isolées. Je préfère garder ça ».
SOPHIE ALOUR
Le Temps Virtuose
(Music From Source/L’Autre Distribution)
LE 13 OCTOBRE A LYON, LE 2 NOVEMBRE A CANNES, LE 3 A SAINT ETIENNE, LE 8 ET LE 9 A TOURS, LE 23 A TOURCOING, LE 30 A PARIS (NEW MORNING)