Ce fut une immersion musicale fascinante, une de ces expériences acoustiques qui donnent envie de revivre encore une fois. Une soirée rare où la banlieue parisienne devenait plus attirante que les quartiers privilégiés du centre ville. Ce soir-là, le guitariste flamenco Pedro Bacan et sa famille, le clan des Pinini, empliraient d’une certaine magie la scène artistique de la maison de la culture. C’était il y a 25 ans, les temps ont changé, et ce rappel mémoriel est d’autant plus bénéfique.
PAR FRANCISCO CRUZ PHOTOS PHILIPPE FRESCO
LIBERTÉ ET REBELLION AU COMPAS
Nous avions découvert Pedro Bacan à l’aube des années 90, aux côtés de son cousin Juan Peña «El Lebrijano», au centre harmonique d’un cri libertaire qui redonnait toute sa dignité au peuple gitan andalou. Puis, nous avions célébré la parution de son premier album solitaire, Alurican, épatés par la finesse et l’émotion portées par les cordes de sa guitare complice.
En France, le flamenco jouissait alors d’une attention particulière, la présence de musiciens, chanteurs et danseurs andalous était naturelle dans le sud – terre d’accueil d’émigrants hispaniques – mais aussi à Paris, ou diverses salles les programmaient régulièrement. Par la suite, la découverte des musiques du monde provoquée par l’avènement du phénomène world music, amplifia de façon notoire la circulation de cet art, expression privilégiée (mais pas exclusive) du peuple gitan andalou. Pour le mieux, et aussi pour le moins bien. D’excellents musiciens de flamenco, traditionnel et moderne, arpentaient les scènes européennes, mais d’autres artistes, plus opportunistes et superficiels, alimentaient pour leur part, efficacement, les comptes de l’industrie musicale.
Entre le respect de la tradition flamenca cultivée par certains et la modernité néo-flamenca ouverte aux différentes musiques libres du monde, la musique de Pedro Bacan apparut comme une troisième voie, pour mieux confirmer que l’on devait parler (et surtout écouter) LES musiques flamencas au pluriel. Une alternative au brillant Paco de Lucia et à ses explorations jazzistiques et aussi à l’enracinement quasi mystique du rustique El Cabrero.
Une alternative pas seulement esthétique, mais aussi culturelle et politique. Bacan aimait à dire que son flamenco était «oriental», avec un enracinement profond et millénaire dans les cultures indienne et égyptienne. En même temps, cette spécificité culturelle lui servait pour se démarquer de toute forme de dépendance aux sirènes de l’industrie. Sa musique cherchait la liberté harmonique, ne suivait pas une formule, n’étant pas une fin en soi, mais le mode d’expression d’un peuple.
Ses concerts n’étaient pas seulement un spectacle, mais une mise sur scène des réunions de musique, chant et danse, telles qu’elles se vivent au sein des familles flamencas. Une musique libre et rebelle.
Cette réédition du concert en famille à la Maison de la Culture de Bobigny en 1996, avec le guitariste Antonio Montoya, Inés Bacan, sa sœur, Pepa de Benito et Joselito de Lebrija au chant, les danseuses Carmen Ledesma et Concha Vargas, et le palmero Antonio Peña – disque primé à titre posthume car Pedro Bacan est décédé en 1997 dans un accident de la route -, augmentée par des plages inédites en solitaire, est d’une pertinence troublante dans un paysage musical où le flamenco est désormais presque absent.
PEDRO BACAN
Remate
(PeeWee/Socadisc)