Le hasard a voulu que nous assistions à ses derniers concerts de Rome et de Paris, mais que nous manquions celui de Bordeaux en 2016. Une prestation éblouissante du pianiste étasunien. Après deux AVC qui l’ont éloigné des scènes, voici l’enregistrement témoin d’une performance solitaire aux couleurs d’adieu…

PAR FRANCISCO CRUZ   PHOTO DANIELA YOHANNES, ROSE ANNE COLAVITO

PERSISTANCE DE LA MÉMOIRE

Quarante sept ans après le concert de Cologne qui cimenta sa popularité dans le monde de la musique, par delà même celui du jazz (The Köln Concert, ECM, en 1975), c’est en état de joyeux recueillement que l’on écoute ce concert bordelais. Comme si l’on dégustait le plus fin des vins, comme si l’on méditait loin de tout stress, en se laissant juste imprégner par la vibration sonore d’un piano sublimé.

Keith Jarrett, pianiste apprécié par les amants de la musique, détesté par les nouveaux publics adeptes des selfies et de la photo téléphonique sans âme (qu’il refusait lors de ses concerts), régale ce soir-là, à l’Opéra National de Bordeaux, un auditoire attentif et transporté, comme s’il présentait ici le caractère ultime de notes en mode mineur.

Suivant une structure qui ressemble, dans ses grandes lignes, à ses concerts en solo totalement improvisés de ces vingt dernières années, Keith Jarrett divise sa prestation en un nombre aléatoire de pièces sans titre. Treize en cette occasion, dont une longue septième plage de sept minutes. Comme autant d’instants éphémères d’une connexion infinie et dans une dimension quasi mystique, avec le son vibratoire de la vie. Un rituel, plus qu’un concert.

Keith Jarrett offre là, comme un remerciement à ce parcours qui a fait de lui l’un des musiciens phares du dernier demi-siècle. En état de grâce, ce live in Bordeaux résonne telle l’intégration sereine d’une profonde solitude face à l’existence que, ni la reconnaissance admirative des inconnus, ni même la tendresse des plus proches, ne pourra jamais dissiper.

KEITH JARRETT

Bordeaux Concert

(ECM/Universal)

 

 

 

 

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