Après le retour dans les gros festivals, on visite leurs petits frères aux programmes et aux moyens plus modestes, mais centrés sur des musiques exigeantes. En dépit d’une fragilité évidente, la volonté de continuer malgré tout…
PAR FRANCISCO CRUZ
GARDER LA FOI
Le pianiste français le plus primé des dernières années, le nîmois (d’origine catalane) Laurent Coulondre, arrive à Foix invité par Nicolas Gardel, pour présenter en avant-première son dernier projet, Meva Festa (« Ma Fête »). Le disque doit paraître fin septembre. De coutume on rend hommage aux disparus (musiciens ou pas), mais cette fois Coulondre a souhaité célébrer la musique latine. Et cela concerne notamment la musique afro-cubaine et brésilienne, qui l’ont beaucoup impressionné et influencé durant ses années de jeune étudiant et de compositeur débutant.
Pour ce faire, il réunit un octet, avec une section de cuivres efficace et une section rythmique pyromane – le percussionniste cubain Inor Sotolongo et son homologue brésilien Adriano dos Santos – qui est le pilier sur lequel s’appuie ce programme festif. Une fête du jazz ? Une fête tout court. Pour jouir du fait de rejouer ensemble, de retrouver le public, de se sentir vivant, « après tant des restrictions et d’interdits abusifs et incompréhensibles ». Une fête avec des climax et des moments plus poussifs – sans les percussions -, parfois saturée par le son amplifié trop envahissant. Des moments réussis, même si le tumbao ou le chorinho restent flou, et des soli percutants parfaitement maitrisés dans la clave. Pour un musicien français, le voyage de Coulondre en terre latine est une digne étape dans son parcours. «… il va être chaud le show » avait annoncé le présentateur de la soirée, il avait raison.
La veille, sa prédiction, reprise par le public, avait été «… les string vont frémir ce soir », se référant à la prestation du guitariste manouche Angelo Debarre à la tête de son string trio. Impeccable dans le style, virtuose dans l’usage nuancé de sa guitare, Debarre joue avec finesse et dirige avec talent la performance de son ensemble. Sans surprise, mais sans temps-mort, il excelle dans le jeu molto vivace et les glissando. Le public apprécie en connaisseur, les fans exultent depuis le premier morceau, la reprise de «Nuages» de Django Reinhardt. Austère dans le dialogue avec l’auditoire, quasi incognito sous une casquette frustrante pour les photographes, Debarre reste fidèle à lui-même, fier de son héritage. Ce qui n’empêche pas la tendresse quand un enfant autiste s’approche de lui pour obtenir un autographe sur sa petite guitare. L’homme Debarre est ému, son regard s’illumine pour lui offrir le plus beau sourire de la soirée.
Un sourire doux qui révèle la joie de se (re)trouver face à un public proche et à visage découvert. Celui de la saxophoniste (et flûtiste) Sophie Alour heureuse de présenter son dernier projet, Enjoy (l’album est paru en 2021), primé par la critique et très attendu par les ariégeois, aussi éloignés des clubs de jazz qu’avides de beaux sons. Le temps défilant, aucun projet de la musicienne ne ressemble à un autre, et on peut se risquer à dire qu’il s’agit de son plus beau de ces dernières années. Pièce clef d’Enjoy : l’association de la leader avec le joueur de saz Abdallah Abozekry, brillamment soutenue par la contrebasse de Philippe Aerts et par le piano de Damien Argentieri. La contribution de la vocaliste et chanteuse multi-culturelle (indienne-iranienne) Raphaëlle Brochet, qui peut en deux mesures passer de la subtilité à la démesure, est un autre atout important dans l’équilibre chromatique du projet. Pour la première fois dans sa carrière, Sophie Alour a opté pour un voyage vers l’Orient, avec escale celtique. L’octet du disque est réduit au sextet pour la scène, et cela se fait sentir par l’absence de la derbouka, le redoutable petit tambour du monde arabe.
Une ouverture aux sons du monde, en guise de réponse à la distanciation et au repli sur soi imposé ces derniers mois. Seule femme leader dans la programmation, Sophie Alour signe souriante des disques dédicacés, pour oublier un instant « la tristesse des confinements et le manque de solidarité publique à l’égard des artistes ».
Jazz à Foix retrouve un élan lors de cinq soirées dédiée aux musiciens français (la dernière sous les auspices de Thomas de Pourquery) et réconcilie des artistes nationaux avec le public. Le modèle d’un «jazz capitaliste», vu comme un art destiné au bon plaisir d’une classe cultivée, dans des festivals à gros budgets qui paient des cachets faramineux aux musiciens-stars du système, ne devrait plus s’imposer. L’art, la musique, le jazz, ont (historiquement) toujours été des expressions de la liberté humaine, avant et après l’industrialisation et l’institutionnalisation du marché culturel. Une période à surpasser, des valeurs à inventer.