TRANSMISSION ET REVELATIONS
Si cette année le Nice Jazz Festival n’a duré que quatre soirées, la programmation a offert un bel équilibre entre découvertes et têtes d’affiche. Elle a rappelé que le jazz est une culture de transmission autant qu’une musique pour faire danser.
PAR CHRISTOPHE JUAN PHOTOS Z@IUS/NEXT MOVEMENT
SOIR 1 Si la scène Verdure reste incontestablement le rendez-vous du jazz, avec sa
Meva Festa et sa belle section de cuivres, Laurent Coulondre imprime dès le départ une rythmique chaloupée qui invite à la danse. Sur la scène Masséna la curiosité gagne avec la bassiste-chanteuse Adi Oasis qui se présente en trio, avec un invité surprise dans son ventre arrondi. Belle voix et bon groove et une reprise du « Gypsy Women » de Crystal Waters pour faire bouger : une artiste à surveiller.
A peine le temps d’apercevoir le peps d’Hiromi qui avec Adam O’Farill s’est trouvé un bon partenaire de scène, que la sensation Gabriels nous appelle. Soyons clairs : ce fût clairement la grosse claque de cette édition. Le trio faisait parler de lui avec son album et surtout des retours de prestations marquantes en live. Le chanteur Jacob Lusk est simplement éblouissant : élégance incroyable, autant vestimentaire que dans ses attitudes, voix profonde, entre le gospel, la soul ou l’art lyrique, il fascine autant avec son hommage à Tina Turner (« Private Dancer »), qu’à Soul II Soul (« Back To Life »), sans oublier les titres de l’album Angels & Queens. Après cela, même Dave Holland a pu paraître un peu terne, malgré un quartet composé de Nasheet Waites, Jaleel Shaw et Kris Davis.
SOIR 2 Retour à la danse le lendemain avec les Strasbourgeois du groupe Emile Londonien qui sont aussi convaincants sur scène qu’avec leur dernier opus : leur trio entre jazz-rock et house est d’une efficacité redoutable. En quittant Masséna on découvre la même ambiance entraînante au Verdure avec Ludovic Louis qui parcourt les allées avec sa trompette, nous fait voyager dans les Antilles, signe un clin d’œil à Kassav et invite tout le monde à rejoindre la fête ! Une fête qui sera prolongée par Roberto Fonseca et Yuri Buenaventura. Même si ce dernier paraît moins fringuant qu’à l’habitude, le génial pianiste cubain est quant à lui une valeur sure pour emporter le public.
SOIR 3 Le jazz est aussi une culture de transmission et de fusion. Quand le chanteur Jalen Ngonda, nouvelle signature Daptone à la voix soul aux accents de Marvin Gaye, attaque un morceau de Jimmy Reed, on mesure le talent de cet artiste qu’il faudra suivre de près. Cerise sur le gâteau, c’est Ezra Collective qui poursuit sur Masséna et comble une annulation de dernière minute. Le combo anglais est une machine qui nous prouve que Fela vivra éternellement. Pour eux passer avant Herbie Hancock est un honneur car, comme ils le rappellent : « sans HeadHunters pas d’Ezra Collective ».
Herbie Hancock justement annonce la couleur avec une intro « bizarre ». Le maître des claviers a envie de s’amuser aux machines ; on ne peut lui reprocher, pas plus que sa déstructuration à rallonge de « Actual Proof » et encore moins son hommage à son complice Wayne Shorter avec une version de « Footprints » arrangée par Terrence Blanchard de façon toujours impeccable. De l’autre côté, Kurt Elling rajeunit son répertoire avec Charlie Hunter (Michael Franti, D’Angelo…), DJ Harrison et Corey Fonville, la moitié de Butcher Brown et s’offre une bande-son haut-de-gamme.
SOIR 4 Le dernier soir, c’est Julius Rodriguez qui nous saisit dans l’arène du Verdure. Le pianiste, qui est aussi très performant baguettes en mains, dégage une énergie et une modernité incroyables avec son trio. Il rend hommage à son mentor disparu, Roy Hargrove, et salue aussi Herbie Hancock à travers une reprise délicieuse de « Butterfly ».
Retour aux sources avec Big Chief Donald Harrison Jr. qui nous donne une petite leçon de jazz avant que Tower of Power nous donne une master class de funk sur l’autre scène. Moins connu de ce côté de l’Atlantique, le combo d’Oakland est un véritable mythe pour les amateurs du genre : 50 ans de service, l’une des plus belles sections de cuivres de l’histoire de cette musique. Leur set se révèle toujours aussi puissant, réglé comme une horloge dans les mises en place avec un sens du groove hors norme. Quel bonheur de voir encore Emilio Castillo, Doc Kupka et David Garibaldi en pleine forme. Et que dire du plaisir d’entendre « What Is Hip ? » par ces musiciens.
On ne pouvait pas rêver mieux que Dianne Reeves pour finir cette soirée et cette édition. La chanteuse est certainement la plus belle voix jazz contemporaine. Une technique impeccable et un feeling qui manque cruellement à d’autres ; une évidence qu’elle fasse du tutorat auprès d’artistes prometteurs. Sa protégée, la chanteuse coréenne Song Yi Jeon, est déjà éblouissante dans une reprise d’Hermeto Pascoal. La divine Dianne Reeves honore Tony Bennett qui nous quittait ce jour-là par un « Mr. Magic » émouvant. Qu’il se diffuse dans nos esprits ou dans nos corps, le jazz reste définitivement une musique vivante et indispensable.