SEBASTIÃO SALGADO – AMAZÔNIA

POÈME VISUEL

PAR FRANCISCO CRUZ   PHOTO  SEBASTIÃO SALGADO

Brésilien, artiste engagé contre la dictature qui a sévi au pays de Tom Jobim, Pelé et Caetano Veloso durant plus de 20 ans, Sebastião Salgado est un photographe mondialement reconnu pour son travail de dénonciation de l’esclavagisme contemporain et pour son amour de la nature, de la Vie. Il a assisté indigné (comme la plupart des artistes brésiliens conscients) à la destruction systématique de la jungle amazonienne et, au crépuscule de son existence, il lui rend le plus bel hommage visuel que l’on puisse imaginer. L’expo sur orbite mondiale, fait escale à la Philharmonie de Paris.

Rio Jau. Etat d’Amazonas. Brésil 2019 ©Sebastiao-Salgado

ARTISTES ET GARDIENS DE LA FORET

Le Brésil est devenu le plus grand pays d’Amérique du Sud, transformant des vastes zones sauvages en centres urbains. Ainsi la forêt Atlantique fut pratiquement réduite au souvenir d’une ère révolue. Des mégapoles comme São Paulo, Rio de Janeiro et même Brasilia, sont des gigantesques îlots technologiques surgis entre la jungle et l’océan, inspirés dès sa fondation par les idées positivistes anglo-saxones du progrès incessant (et linéaire) de l’humanité. Pis, depuis le temps de la dictature, la destruction de l’Amazonie s’est accrue jusqu’à la démesure pour devenir le cauchemar des brésiliens et de tous les humains conscients de l’enjeu planétaire. Les grands consortiums multinationaux du commerce du bois, des céréales (biocarburants), et de la viande bovine, en sont les principaux responsables.

La destruction de l’Amazonie a eu comme effet immédiat, et permanent depuis quarante ans, le génocide des ethnies aborigènes qui l’habitent depuis de millénaires (yanomami, tupi, xingu, ashaninka. yaminawa, marubo et des centaines d’autres ). La sauvegarde de la jungle (que les brésiliens nomment de façon générique O Mato) et de ses habitants, est devenue un enjeu écologique primordial depuis les années 80 et la fin des dictatures sud-américaines.

Chaman yanomami en rituel. Etat d’Amazonas. Brésil 2014 ©Sebastiao-Salgado

Des artistes, pour des raisons esthétiques ou écologiques, spirituelles ou politiques, ont été à l’avant-garde de l’éveil des consciences pour la protection de l’Amazonie et des aborigènes. Au Brésil, la chanteuse Marlui Miranda et le groupe Pau Brasil, le pianiste-guitariste Egberto Gismonti et le poète du berimbau Nana Vasconcelos, le chanteur Milton Nascimento et le groupe Uakti, en sont les plus remarquables exemples. Au niveau international, le chanteur de rock Sting a consacré une tournée mondiale (en compagnie du chef indien xingu Raoni) pour sensibiliser l’opinion publique et les gouvernements occidentaux à l’enjeu amazonien et à la tragédie que sa destruction impliquait pour toute l’humanité. C’était il y a 30 ans. Et Sebastião Salgado, qui avait compris l’enjeu vital que signifiait la préservation de l’Amazonie, commençait déjà à investir dans la terre et à replanter les arbres du futur.

À cette époque, des défenseurs de la forêt et des indiens, des activistes humanitaires dont le plus connu était Chico Méndes, furent assassinés par des groupes paramilitaires à la solde des oligarchies nationales et des entreprises étrangères. Aujourd’hui, la liste d’humanistes-écologistes assassinés continue de s’allonger. La dernière victime connue de ces meurtriers est Paulo Paulino dit El Lobo, de la tribu Guajajara, un autre gardien de la forêt tué en novembre 2019.

Indiens marubo – Vallée de Javari. Etat d’Amazonas. Brésil 1998-©Sebastiao Salgado

Le crime continue. Après un regain d’attention et une relative stabilité, l’Amazonie et ses habitants sont en train de souffrir de la pire destruction de son histoire, et ce depuis l’ascension au pouvoir du dernier président. Proche de l’ancien régime militaire, ce sinistre personnage préconise l’exploitation industrielle de toute l’Amazonie et, donc, l’extermination de toute sa population animale et humaine. Des incendies gigantesques ont été provoqués pour chasser les indigènes de leurs terres. Non contents de détruire leurs habitats naturels, de les brûler dans leurs territoires ancestraux, la police, les militaires et les civils complices avec le système ultra capitaliste qui sévit au Brésil, massacrent les indigènes avec des virus étrangers et des vaccins imposés de force. Les indiens aux yeux du pouvoir économique brésilien seraient des êtres infra-humains qui ne méritent pas le moindre respect, la moindre humanité. Toute ressemblance avec les tentatives d’injection obligatoire dans les sociétés européennes n’est pas une (étonnante) coïncidence.

Indienne yaminawa. Etat-d’Acre. Brésil 2016 ©Sebastiao Salgado

REFORESTATION, EXPOSITION ET CHANT POUR LA TERRE

Dans ce contexte, Sebastião Salgado (né en 1944), qui a commencé sa carrière de photographe à Paris en 1973 (où il avait émigré en 1969 fuyant la dictature), a investi beaucoup dans l’achat de terres pour repeupler les forêts et développer un formidable projet écologique de sauvegarde dans l’État de Minas Gerais.
Avec sa compagne Lélia Wanick, il a crée l’Institut Terra en 1998, qui est devenu la plus grande organisation environnementale du Brésil. Elle a obtenu un financement pour planter 5000 sources d’eau, c’est à dire le plus gros projet de récupération d’eau au monde. Salgado et ses amis ont déjà planté plus de 3 millions d’arbres et dans les prochaines années ils prévoient encore d’en planter 1 million. Plus de 170 espèces d’oiseaux sont revenues, des jaguars, des singes, dans une forêt qui a recréée sur une terre complètement dégradée, asséchée.

Ayax Punu Korubo, et son singe titi brun. Territoire indigène de la vallée de Javari. Etat d’Amazonas, 2017.©Sebastiao Salgado

Cerise sur le gâteau, Salgado a aussi consacré six années (2013-2019) a photographier l’Amazonie, pour dénoncer sa destruction et mettre en relief sa beauté majestueuse et luxuriante. Pour marquer l’universalité du sujet, l’exposition installée aujourd’hui dans un Paris contaminé par des relents dictatoriaux (ironie de la vie), sera présente dans plusieurs capitales du monde : à Paris, à Rome et à Londres, mais aussi à Sao Paulo et à Rio de Janeiro.
Elle est composée de 205 photos encadrées en grand format, dont des portraits de 10 communautés indiennes. Mais aussi de 8 films avec les témoignages de chefs et chamans indiens et 2 projections de 110 photos sur grand écran. Une partition musicale de 50 minutes composée à partir des archives sonores collectées par un réseau d’ethnologues internationaux. Un accrochage aérien de photos suspendues qui rappelle aux visiteurs l’immensité de la forêt.
Par rapport à la scénographie de l’exposition, Sebastião Salgado précise: «Le parcours de l’exposition a été conçu comme un voyage en forêt ; on y entre peu à peu depuis les airs et en bateau. On suit le fleuve. La forêt devient touffue et puis on pénètre dans un espace qui évoque les maisons indiennes, où l’on peut rencontrer les tribus».

Dans un canoë en métal appelé voadeira («voleuse» en portugais), les Korubo vont chasser. Territoire indigène de la vallée de Javari. Etat d’Amazonas, 2017. ©Sebastiao Salgado

L’exposition Amazônia est aussi le premier pas du Musée de la Musique dans le domaine de la bioacoustique. La musicalité si contrastée de la forêt apparaît dans une œuvre de Jean-Michel Jarre composée pour l’exposition, diffusée en stéréo au fil du parcours photographique. À mi-chemin entre la musique concrète et la musique électronique, cette création convoque un matériau puissant : le fonds d’archives sonores collectées en Amazonie depuis 1950 et conservées aujourd’hui au Musée d’Éthnographie de Genève. «J’ai approché l’Amazonie avec respect – déclare Jarre -, d’une manière poétique et impressionniste. J’ai choisi les éléments vocaux et sonores dans leur dimension évocatrice, plutôt que d’essayer d’être fidèle à tel groupe ethnique. Il me semblait intéressant de fantasmer la forêt. Cette musique évoque aussi une forme de nomadisme, comme si les sons apparaissaient et disparaissaient au fil d’une transhumance».

Parallèlement, deux salles de projections immersives dessinent des paysages sonores proprement brésiliens. Selon Salgado, «un espace présente en projection des portraits d’hommes et de femmes d’Amazonie illustrés par une bande son de musiques indiennes (composées spécialement pour l’exposition par le groupe Pau Brasil), tandis qu’un deuxième espace présente des photographies de la forêt, accompagnées du poème symphonique de Heitor Villa-Lobos intitulé «Erosão». On y décèle les origines du fleuve Amazone qui draine cette érosion ; la couleur des eaux est celle de la terre».

Festival yawanawa: récuperation de la culture et de la langue. Rétablissement des fêtes traditionnelles. Territoire indigène Rio Gregorio – Etat d’Acre, 2016 – ©Sebastiao Salgado

Comme pour la grande majorité des brésiliens, la musique est pour Sebastião Salgado une dimension essentielle à la vie humaine. Il confie spontanément : «… je n’ai pu photographier l’Amazonie qu’en chantant. La musique a été mon fil conducteur». La musique fut aussi un élément fondamental dans la rencontre et les échanges avec les habitants de l’Amazonie. Il raconte : «Les Indiens chantent beaucoup, jour et nuit, sauf quand ils chassent. Mais lorsqu’ils cultivent, collectent des fruits, ou pêchent, ils chantent énormément. Je me suis donc senti chez moi en Amazonie ; il y a de grandes fêtes très musicales, des échanges et des signes de bienvenue qui sont comme des discours musicaux».

Fidèle à ses principes esthétiques, l’exposition amazonienne de Salgado est entièrement en noir et blanc, avec des contrastes saisissants et, bien entendu grâce à des images numériques (il a abandonné l’argentique en 2008). Elle est aussi déclinée dans une somptueuse édition papier, conçue et réalisée par Lélia Wanick. Il s’agit d’un ouvrage de 500 pages, contenant 491 photographies, exprimant beauté et émotions. Comme Salgado et sa compagne l’exposent avec bonheur : « ce livre est dédié aux peuples indigènes de l’Amazonie brésilienne. C’est une célébration de la survie de leurs cultures, de leurs coutumes et de leurs langues. Ce livre est aussi un hommage à leur rôle de gardiens de la beauté, des ressources naturelles et de la biodiversité de la plus grande forêt tropicale du monde, faisant face aux assauts répétés du monde extérieur. Nous leur sommes reconnaissants, à jamais, de nous avoir accueillis pour partager un peu de leur vie». Un véritable poème visuel.

AMAZÔNIA

Sebastião Salgado

 

EXPOSITION
Musée de la Musique, Philharmonie de Paris
jusqu’au 31 d’octobre 2021

                                             LIVRE  Editions Taschen, 527 pages -100 €