Lors d’une rencontre avec le public, et alors qu’on leur demandait quelle était la justification du titre de leur dernier film, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre ont eu une réponse des plus intéressante : Que signifie de n’en avoir plus rien à foutre en 2021 ? Une réponse apportée et illustrée par leur personnage de Cassandre.

PAR LUNA CRUZ

Cassandre est la parfaite incarnation d’une jeunesse occidentale actuelle, même si l’on aimerait l’idéaliser davantage. Mais, à quoi bon le nier ? Une grande partie des jeunes de la planète sont désabusés, blasés, certains diraient perdus. Ils rejettent le système et le capitalisme, ou encore la mondialisation, mais seulement sur le papier. En réalité, l’espoir de changement et de salvation grâce à des idéaux et des mobilisations a fait son temps.

Les personnes les plus riches et les plus puissantes de la planète vivent dans l’excès, sans se soucier de la pollution du monde, autrement qu’à travers la temporalité de leur propre existence. Alors pourquoi ne devrait-on pas en faire autant ? A quoi sert d’avoir des rêves s’il n’y a plus rien à sauver ? Une vie superficielle, dans ces conditions, pourquoi pas ? Et puis surtout, à quoi bon s’entêter ou s’attacher ?

Cassandre est une non-héroïne magnifique, un personnage auquel on s’attache, malgré sa nonchalance et son apparente simplicité. Elle mène sa vie d’hôtesse dans une compagnie low-cost et malgré des conditions de travail épuisantes, elle avance, elle ne se plaint pas, elle continue le menton levé. Et lorsqu’elle rencontre des grévistes on peut lire dans son regard de l’incompréhension plutôt que de l’indifférence.

Pourquoi se rebeller puisque rien ne changera ? Le film est aussi une excellente critique du monde du travail, dans lequel les jeunes sont invités à s’engager aujourd’hui : complètement deshumanisé, uberisé, où chacun est le délateur de son prochain et où la méfiance a supplanté la solidarité.

Le personnage ne serait qu’un portrait presque trop noir de notre société si tout lui glissait dessus. Mais, en réalité, Cassandre souffre. Quelques mois auparavant, elle a perdu sa mère et a décidé de partir, loin de sa famille. Dans sa fuite en avant, impliquée à 200% dans son job, elle veut que rien ne l’atteigne mais, dans ses relations «tinder», sans tendresse et sans réelle profondeur, avec ses copines et collègues, tout est trop lisse. Après une faute professionnelle qui n’en est pas vraiment une, elle doit revenir chez elle, auprès de sa sœur et de son père. Retrouver sa famille la changera t-elle vraiment ou continuera t-elle à courir après une idée du bonheur factice ?

Dans ce portrait d’anti-héroïne du XXIe siècle, Adèle Exarchopoulos trouve de loin son meilleur rôle depuis «La Vie d’Adèle», le film d’Abdellatif Kechiche qui lui avait valu une Palme d’Or à Cannes en 2013. On avait hâte de la retrouver ainsi.

RIEN A FOUTRE
d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre
avec Adèle Exarchopoulos, Mara Taquin, Alexandre Perrier.
en salle le 2 mars