LA MORT DE GEORGE FLOYD – PART I

UNE COLÈRE IMMENSE

PAR ROMAIN GROSMAN

La mort de George Floyd, les circonstances de sa mort, 8 minutes quarante-six secondes d’agonie, d’asphyxie le cou maintenu sous la pression du genou d’un policier meurtrier, sous le regard de ses trois confrères complices, prolonge la liste des victimes afro-américaines de violence policière. Les images, la cruauté et la symbolique du geste – la soumission, le mépris, l’inhumanité – ont engendré une COLÈRE IMMENSE.

Ces images tournent en boucle dans nos têtes et tout un pays s’est mis en mouvement. Toute une communauté d’abord, qui depuis le mouvement des Droits Civiques, et malgré les espoirs de progrès nés lors de la présidence Obama en matière de justice et d’égalité, voit le même scénario se reproduire, dorénavant filmé – ce qui change tout, après des décennies d’invisibilité – celui de la mort infligée à l’un des siens par des « gardiens de la paix », sans raison, sans aucune justification, dans une forme de froideur et de cruauté qui ressemblent cette fois encore à l’expression d’une impunité acquise. Comment sinon expliquer la morgue de ce policier qui se sachant filmé, interpellé par la foule, poursuit son assassinat sans bouger.

Toute l’Amérique s’est levée pour crier sa colère, son indignation. Nul doute qu’au-delà du meurtre de George Floyd, insupportable, tout un pays s’est levé pour dire stop à un président aux propos incendiaires, racistes, qui avait ainsi traité de « fils de pute » le footballeur Colin Kaepernick et les athlètes américains qui avaient symboliquement mis un genou à terre pendant l’hymne national pour protester contre les violences policières à l’endroit de la communauté noire. Pour dire stop à un président qui aura, durant toute sa mandature, stigmatisé les minorités, les étrangers, flirté avec les idées et les ambassadeurs des théories suprémacistes, renvoyant le pays à ses pires démons.

LE DÉNI FRANÇAIS

Il aura fallu plusieurs jours pour que le policier coupable soit arrêté, plusieurs jours encore pour que ses collègues-complices soient également désignés coupables. Cette fois, dans un scénario mille fois entendu, la version tentant de disculper la police – « la victime avait d’autres pathologies… » – n’aura pas tenu longtemps…
… Sauf ici, en France, où les jamais décevants piliers des chaines infos, Éric Zemmour en tête, condamné pour incitation à la haine mais toujours omniprésent sur nos écrans, ont osé. Osé évoquer le passé de George Floyd, son cv, ses supposées addictions… Comme si le geste absolument, indiscutablement, criminel de l’agent -assassin pouvait se justifier ou se trouver atténué par le profil ou la personnalité supposée de la victime. Sur un plateau de C à Vous, un médecin s’interrogeait sur ses éventuels problèmes de santé à l’origine de sa mort !!! Sans que les éditorialistes présents, à la hauteur de leur réputation eux aussi, ne s’offusquent…

Et lorsque la population ici, exprima son indignation, et sa solidarité avec la communauté afro-américaine, puis se fit l’écho de cette même COLÈRE ressentie, vécue, partagée, expérimentée, au fil de la montée récente des violences policières en France, d’autres journalistes-éditorialistes (Elizabeth Levy, Jean-Claude Dassier, et tant d’autres) mirent immédiatement en garde ceux qui seraient tentés d’ «importer la question raciale (américaine) en France ». Bien sûr, notre beau pays n’a pas été à de multiples reprises condamné ou rappelé à l’ordre par des instances nationales (le Défenseur des Droits) ou internationales (L’ONU par la voix de Michelle Bachelet, Amnesty), pour des violences policières répétées et accrues sous la mandature macronnienne, pour des propos racistes à l’endroit des citoyens noirs, d’origine maghrébine, jeunes en particulier, pour des contrôles orientés selon l’origine des citoyens ciblés… La manifestation massive réunissant des milliers de citoyens pour réclamer justice dans l’affaire Adama Traoré est venue rappeler qu’ici aussi police et justice sont ressenties par beaucoup comme inégalitaires, voire injustes, voire discriminatoires, au quotidien, comme dans de nombreux événements récents systématiquement minimisés avant que la manifestation contradictoire de la vérité puisse simplement intervenir.

La doctrine policière, les centaines de blessés pendant les manifestations des Gilets Jaunes par l’usage disproportionnée de la force, et par une doctrine dangereuse, avait déjà mis en évidence le durcissement du pouvoir à l’égard des voix protestataires. Là encore, pendant des mois, malgré l’évidence et des centaines de témoignages, les chaines infos, les médias dans leur grande majorité, et leurs nombreux porte-voix zélés, s’étaient longtemps élevés contre cette révolte des sans-voix, réfutant l’évidente répression dont elle était l’objet.

MAIS PLUS LE DENI EST GRAND, PLUS LA COLERE MONTE. Plus la voix officielle réfute, moque, minimise ou stigmatise, plus elle renvoie l’expression de la colère, des colères (sociales ou sociétales) à la manifestation d’un « populisme ou d’un souverainisme » – deux termes dégainés sur tous les tons pour tenter d’interdire-de disqualifier-dénigrer la parole des opposants à cette oligarchie financière-politique-médiatique de plus en plus arrogante-méprisante-violente et liberticide -, plus celle-ci, conscientisée par les mouvements et les événements récents, se coalise, se consolide.

Sur le front social, des millions de citoyens sortent terriblement précarisés par la crise pandémique dont les dirigeants des grands pays libéraux seront comptables (le dénuement de nos services de santé, les pénuries de moyens, la perte de souveraineté sur le contrôle des outils essentiels à notre auto-défense en pareille situation (médicaments, masques, appareils respiratoires… fabriqués à l’étranger), l’absence de décisions concertées et planifiées pour protéger). Malgré tout, le cynisme ne recule pas. Après avoir suggéré le chantage au chômage vs la hausse du temps de travail (il fallait y penser, des millions d’emplois sont détruits, pressons davantage les salariés au lieu de partager le travail), la réduction des congés payés, le système tente la baisse des salaires : en sous-texte de cette petite musique, l’économie se relèvera quand et si les sacrifices suivent. Les sacrifices évoqués ne concernent ni les milliards passés de la poche des salariés à celle des actionnaires ces dernières décennies, ni les milliards d’exonérations de charges octroyées à de grands groupes ne respectant aucun de leurs engagements en terme de garantie de l’emploi, de relocalisation ou d’environnement, sans parler de l’ «optimisation fiscale » qui permet à ceux qui ont le plus de payer-contribuer le moins à la solidarité nationale.

LA MORT DE GEORGE FLOYD – PART II – WYNTON MARSALIS